PINTER HAROLD (1930-2008)
Harold Pinter se situe, parmi les auteurs dramatiques de l'après-guerre, au premier rang de la « nouvelle vague » anglaise, grâce à une production variée qui commence en 1957. Acteur pendant une dizaine d'années et plus tard metteur en scène, poète et auteur de nouvelles, puis de saynètes et de pièces pour le théâtre, la radio et la télévision, il est devenu, par ses adaptations cinématographiques de romans contemporains, un scénariste recherché. Dans ses textes comme dans ses activités d'homme de théâtre, Pinter passe d'un moyen d'expression ou d'un genre à l'autre avec une aisance et un bonheur inégalés par ses contemporains. Malgré l'extrême diversité de ses dons, c'est sur ses œuvres théâtrales qu'est fondée sa notoriété : dans ce domaine, c'est l'écrivain le plus novateur et le plus fécond de sa génération. Le prix Nobel de littérature lui a été décerné en 2005.
De l'apprentissage de la violence à l'écriture dramatique
Né en 1930 dans une famille israélite, Pinter a grandi dans un quartier juif de l'East End de Londres. C'est là que dans les années trente, puis de nouveau entre 1946 et 1950, lors du premier conflit en Palestine, le mouvement fasciste britannique organisait ses manifestations les plus importantes : c'est dans ce contexte tout à fait exceptionnel de violence raciste que Pinter passe ses vingt premières années. Il en sort objecteur de conscience, et obsédé par les situations de conflit où la seule issue est l'assujettissement, sinon l'anéantissement de l'Autre : c'est cette situation type que, en la dépouillant de toute spécificité historique, il reproduit sans cesse dans son œuvre. La parole y fonctionne essentiellement sur le mode du déni, comme écran de fumée (smoke screen) ou brouillage de piste : « On peut considérer le langage comme un stratagème systématique pour cacher sa propre nudité. » C'est ce qu'illustre cette anecdote exemplaire : face à un groupe de fascistes qui s'apprêtent à le rouer de coups, Pinter, encore lycéen, entame le dialogue suivant : « Ça va ? – Moi, ça va. – Alors ça va », et il s'éloigne, indemne.
N'ayant jamais fait de latin, il ne peut réaliser son ambition d'étudier la littérature anglaise à l'université. Il entre à l'École nationale d'art dramatique, mais s'y déplaît. Il vit donc pendant près de dix ans tantôt de ses talents d'acteur (sous le nom de David Baron, il fait des tournées en province et en Irlande), tantôt de petits métiers – camelot à Oxford Street, contrôleur de billets dans un bal public, vendeur de tout et de rien. C'est ainsi qu'il entre en contact avec des êtres marginaux, tout un monde crépusculaire d'habitants de garnis, de logeuses de province, de clochards, de blousons noirs et de maquereaux, qui peuplent certaines de ses pièces. Pendant cette période, il écrit des centaines de poèmes et de nouvelles, dont une partie seulement a été publiée (dans le recueil Poems de 1968, et dans Poems and Prose, de 1978). Ce sont des textes baroques et hermétiques où défile tout un bestiaire monstrueux : ils constituent la contrepartie fantastique, refoulée, de l'œuvre théâtrale ; des explosions verbales qui rappellent Dylan Thomas y voisinent avec des incantations écrites dans un langage entièrement formalisé. Cette alternance préfigure déjà l'opposition fondamentale entre deux types d'utilisation du langage chez Pinter : une parole surabondante où le locuteur se dépense et se livre, et une parole qui se réserve, se faisant miroir et vide où l'interlocuteur se perd.
La figure de Kullus, nouvelle mouture du Doppelgänger, apparaît dans trois de ces textes : Kullus, c'est l'éternel alter ego, l'ami et, en même temps, l'adversaire[...]
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Écrit par
- Ann LECERCLE : maître assistant d'anglais, agrégée, docteur d'État, professeur à l'université de Paris-Nord
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