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HASARD & NÉCESSITÉ

Retour aux origines

« Je ne forge pas d'hypothèses », a répondu Newton à ceux qui lui demandaient comment une force pouvait agir à distance. Cette phrase n'annonce pas vraiment la conception d'une science purement positive, mais elle exprime plutôt le constat que le monde, au sens de Newton, ne constitue pas un système déterministe, régi par des lois. Pour lui, il est possible de mesurer les effets observables des forces, mais ces dernières expriment l'intervention actuelle de Dieu dans le monde et sont soumises non à une quelconque raison accessible à l'intelligence humaine, mais à sa volonté d'auteur.

Dès l'origine de la physique moderne, deux conceptions de la nécessité se sont heurtées, c'est-à-dire deux conceptions de ce que peuvent la raison humaine et la mathématisation des phénomènes observables. Elles sont encore présentes dans la physique d'aujourd'hui. En termes contemporains, pour Newton, les mathématiques peuvent seulement viser à simuler les phénomènes, ou, en termes traditionnels, à les « sauver », à en reconstituer une description exacte mais non à en découvrir les raisons, qui renvoient à la seule nécessité des volontés divines. Pour Leibniz, au contraire, la volonté divine, si elle ne doit pas être celle d'un être despotique, et donc imparfait, se conforme au principe de raison : rien n'arrive sans qu'il y ait une raison suffisante pour laquelle ce soit ainsi plutôt qu'autrement.

L'existence de ce monde, parmi tous les mondes possibles, renvoie à Dieu, mais ce qui y arrive est soumis à une nécessité immanente que la mécanique galiléenne a pu expliciter lorsqu'elle a soumis la description de la chute des corps au principe de causalité.

Dans ce cas, en effet, les phénomènes se sont laissé décrire, comprendre et mesurer à partir du principe d'égalité entre la cause pleine et l'effet entier. Ce qui signifie, corrélativement, que le principe de causalité, mis en œuvre par Galilée (Michel Serres dir., 1989) et explicité par Huygens (qui a montré que 1'« effet » d'une chute sur une dénivellation donnée était mesurée par le carré de la vitesse acquise lors de cette chute) est la garantie que la description galiléenne est rationnelle au sens fort du terme, c'est-à-dire que les causes et les effets sont rationnellement identifiés.

La conception leibnizienne affirme tout à la fois un déterminisme universel, et le caractère rare, exceptionnel, des cas où la raison humaine peut avoir un accès opérationnel à ce déterminisme. Soit l'âne de Buridan, affamé, confronté à deux prés exactement équivalents. Pour nous, son choix (c'est-à-dire le pré vers lequel il se dirigera) est imprévisible, et peut être décrit comme spontané ou arbitraire. Seul Dieu, qui sait la manière dont l'Univers tout entier « conspire » dans ce choix, sait comment il traduit le principe de raison. Pour Leibniz, la mécanique, déterministe, est un cas et non un modèle, elle correspond à la situation où l'on peut oublier comment l'Univers conspire dans chaque cause et dans chaque effet. Ce dont nos mots, nos mesures, nos raisonnements nous rendent capables est fonction des cas. Le déterminisme n'est pas un mot d'ordre : le seul qui soit autorisé par la « conception leibnizienne » est le calculemus, c'est-à-dire « cherchons à rendre raison » ; cherchons, dans chaque cas, à expliciter de la manière la plus distincte les raisons de pourquoi ceci plutôt qu'autre chose.

Et pourtant la physique, héritière aussi bien de Newton, qui ne reconnaissait d'autre nécessité que la volonté actuelle de Dieu, que de Leibniz, qui avait voulu délier la nécessité rationnelle de tout mot d'ordre, redéfinira le sens de cet héritage.

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Écrit par

  • : directeur des Instituts internationaux de physique et de chimie, fondés par Ernest Solvay à Bruxelles, Ashbel Smith regental professor, université du Texas à Austin, directeur du Ilya Prigogine Center of Studies in Statistical Mechanics and Complex Systems, université du Texas à Austin
  • : chargée de cours associée à l'Université libre de Bruxelles, docteur en philosophie
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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