HASARD
Les sens du mot hasard
Le terme de hasard s'emploie pour désigner soit des relations logiques entre des éventualités abstraites, soit des relations observables entre des phénomènes concrets. Dans le premier cas, on parle plus volontiers de probabilité mathématique, dans le second de hasard. Comme certains dispositifs (jeux de dés, de pile ou face, tirage d'une loterie, etc.) produisent des événements aléatoires qui se conforment au calcul a priori des probabilités, on confond parfois les jugements mathématiques de probabilité, qui portent sur des éventualités abstraites, et les jugements empiriques, où l'on recourt au calcul des probabilités pour spécifier certaines relations entre des classes d'événements concrets. Toutefois, en matière de hasard, on ne peut pas plus passer, par une inférence logique, d'un jugement mathématique à un jugement d'expérience, qu'on ne peut passer d'un certain nombre d'axiomes abstraits à la mécanique ou à l'optique géométrique.
Imprévisibilité et mathématisation
La distinction précédente entre concept mathématique et notion empirique d'aléa fournit un premier sens du mot hasard : on dira que des événements se produisent par hasard, quand le calcul a priori des probabilités permet de spécifier leurs chances respectives d'apparition. Pour que cette application des probabilités à des événements réels soit possible, il faut que l'on puisse adapter à des cas concrets des notions comme « indépendance des événements », « égalité des chances », etc. C'est ce qui se produit dans les jeux de hasard, comme ceux de pile ou face, des dés ou de la roulette. Ainsi, on posera que « pile » et « face » sont deux éventualités équiprobables ou égales, et que deux coups successifs sont indépendants, si le résultat de l'un n'a pas d'influence sur celui de l'autre. Cette affirmation n'est pas toujours évidente du point de vue subjectif, comme le montre l'attitude des joueurs qui, après une série de « pile », croient plus probable la venue d'un « face » ; leur illusion provient de ce qu'ils assimilent ce jeu, sans s'en rendre compte, aux tirages de boules rouges ou noires, dans une urne qui en contiendrait initialement un nombre égal pour chaque catégorie et où l'on ne remettrait pas au fur et à mesure les boules tirées.
Le hasard ainsi entendu est en général produit par des dispositifs artificiels, dont la construction et le fonctionnement obéissent à des lois mécaniques ou causales rigoureuses : ainsi, personne ne met en doute que si le croupier, à la roulette, pouvait répéter identiquement son geste, les mêmes causes produisant les mêmes effets, on pourrait prévoir le résultat. Mais cette identité des conditions initiales de l'action n'étant pas réalisée, la cause, c'est-à-dire le geste de la main, varie d'un coup à un autre, rendant imprévisible le résultat.
Cet exemple simple illustre deux caractères fondamentaux du hasard : il possède certaines propriétés mathématisables, il a un côté imprévisible. Ce second trait est à l'origine des difficultés considérables que soulève l'imitation du hasard par des procédures mathématiques : si, en effet, on pouvait, par un procédé arithmétique, construire une suite de nombres aléatoires, celle-ci satisferait à un certain nombre de tests statistiques et mériterait à cet égard d'être appelée suite aléatoire ; toutefois, elle ne posséderait pas la seconde propriété essentielle du hasard, son imprévisibilité, puisque celui qui connaîtrait la règle de production des éléments de cette suite pourrait la reconstituer.
Dans la pratique, les statisticiens utilisent souvent des tables de nombres aléatoires qui représentent un hasard artificiel, mais ils n'ignorent pas qu'il y a entre le hasard[...]
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Écrit par
- Bertrand SAINT-SERNIN : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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