Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CRESCAS ḤASDAÏ BEN ABRAHAM (1340-1410)

Haute figure de la pensée juive d'Espagne à la fin du Moyen Âge, Ḥasdaï Crescas fut à la fois lié à la cour du roi d'Aragon et établi dans les fonctions de grand rabbin de la communauté de Saragosse. À l'orée de ce siècle qui allait être celui de l'expulsion des juifs de la péninsule Ibérique, il composa une chronique des massacres dont furent victimes ses coreligionnaires (et parmi eux son propre fils) à Barcelone en 1391. Ce récit, rédigé sous la forme d'une lettre à la communauté des juifs d'Avignon, fut suivi d'un traité intitulé Réfutation des principes du christianisme (1397-1398).

Mais Ḥasdaï Crescas s'est imposé surtout par son unique ouvrage philosophique, La Lumière du Seigneur (Or Adonaï), fondé sur une critique des positions intellectualistes de Maïmonide et de son disciple Gersonide, chez lesquels il dénonçait, tout en leur empruntant occasionnellement telle ou telle autre thèse, une tradition juive imprudemment assujettie à la doctrine aristotélicienne et à ses commentateurs arabes. Non content de souligner le danger que représente la lecture du Guide des égarés pour des esprits moins subtils ou moins aguerris que Maïmonide, il veut montrer que la philosophie gréco-arabe échoue là même où elle prétend apporter la lumière, par exemple, quant aux preuves de l'existence de Dieu, aux rapports du Créateur et du monde créé, à la conception de l'essence divine. Crescas en vient par là à critiquer la physique d'Aristote — ou, du moins, celles de ses thèses qui lui paraissent incompatibles avec les exigences de la tradition biblique — et à réhabiliter des notions disséminées dans d'autres traditions que celle de l'héritage péripatéticien : pluralité des mondes possibles, infinitude de l'univers, idées de corps, d'espace et de vide spatial, irréductibilité de la présence divine à toute localisation, existence de grandeurs et de nombres infinis en acte, etc.

Chez ce dernier philosophe original du judaïsme médiéval à l'égard duquel Spinoza allait se reconnaître une dette, on trouve aussi une intéressante théorisation de l'amour dans son rapport avec l'intellection. Elle s'exprime à travers une analyse rationnelle dont certains axiomes évoquent la thèse augustinienne de l'amor discretus, notamment lorsque Crescas affirme que l'amour et le plaisir suscités par l'objet dans la volonté sont proportionnels à la perfection de ce dernier. Sa théologie de l'amour de Dieu se résume alors de la manière suivante : d'une part, l'Éternel cherche les hommes dans un acte infini d'amour ; d'autre part, la Loi révélée, la Tōrah, n'est autre que l'offre que Dieu leur fait de pouvoir le rencontrer dans un amour semblable. Ainsi la dilection, que Maïmonide avait placée au sommet des valeurs philosophiques, se retrouve-t-elle ici à son rang, mais comme chez Juda Hallevi, assimilée à l'accomplissement joyeux de la Loi.

— Charles BALADIER

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : éditeur en philosophie, histoire des religions, sciences humaines; ancien élève titulaire de l'École pratique des hautes études

Classification