HASSAN Ier (1836-1894) , sultan du Maroc (1873-1894)
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Dernier grand sultan du Maroc pré-colonial, Moulay Hassan (Moūlāy Ḥasan) occupe une place particulière dans la galerie des souverains chérifiens, par sa personnalité, riche et complexe, par son rôle dans l'ultime sauvegarde du pays face à l'impérialisme européen, par l'image populaire, enfin, qu'en a conservée le folklore national.
Il avait, à son avènement, trente-sept ans. Le sultan Sidi Mohammed l'avait désigné, dès sa majorité, comme successeur et l'avait, de longue main, initié aux affaires. Il n'eut que peu de difficultés à se faire reconnaître, sauf à Fès qu'il dut assiéger. L'épisode souligne la réserve frondeuse que longtemps les notables de la capitale opposeront au souverain. À l'automne de 1874, son autorité était assez affirmée pour n'être désormais plus remise en question.
De forte culture arabe, il corrigeait fréquemment les minutes des lettres importantes. En revanche, il ignorait toute langue étrangère. Sa volonté, certaine au début du règne, semble s'être émoussée au long des années, du fait de la maladie et devant les difficultés renouvelées de sa tâche.
L'action intérieure du sultan est double. D'une part, il entend maintenir la cohésion de l'empire et affirmer, face aux menaces européennes sur sa périphérie, l'intégrité et l'unité des possessions chérifiennes ; d'autre part, il veut amorcer une série de réformes profondes qui, à terme, devront modifier les conditions mêmes de la vie économique et administrative du pays. Il utilise les recettes les plus éprouvées de la politique makhzen (du gouvernement central marocain) comme il tente le recours à des forces nouvelles. Moulay Hassan s'efforce de contenir, d'investir et de pénétrer les grandes tribus berbères. Il peut s'assurer la fidélité des grands chefs du Sud. Il arrive à maintenir, partout, un prestige tel qu'aucune grande révolte ne marque le règne. Dans les plaines, il tend à fractionner les pouvoirs et substitue aux dix-huit grands commandements un nombre considérable de petits groupes. Vis-à-vis des forces religieuses, Moulay Hassan agit avec le même mélange de ménagements et de rigueur. Il se concilie les confréries du pays makhzen (dépendant de l'administration centrale) et utilise leur influence dans les zones insoumises. Lors de ses déplacements il rend hommage aux sanctuaires. Sa piété, son prestige chérifien lui permettent fréquemment d'arbitrer les querelles entre zaouias. Il sait à la fois flatter les forces montantes, comme celle du cheikh Ma el-Aïnin du Sahara occidental et lutter contre les influences qu'il juge dangereuses, notamment celle des Derkaoua ou des Taïbia.
Cette action combinée (politique, militaire et religieuse) marque les grandes expéditions faites aux marges du pays afin d'y affirmer la suzeraineté marocaine : dans le Sous en 1882 et en 1886, dans le Rif en 1887, au Tafilalt en 1893.
Parallèlement à cette politique traditionnelle, en partie pour s'en donner les moyens mais aussi pour répondre au « défi européen », Moulay Hassan s'efforce de créer les instruments financiers, militaires, administratifs qui doivent permettre d'amorcer des réformes de structure. Le résultat demeure assez mince. Les essais d'amélioration du fonctionnement du gouvernement central furent peu efficaces. Le système demeure fondamentalement le même avec l'absence de services importants, l'insuffisante rémunération des fonctionnaires, les chevauchements de compétence, le poids du protocole administratif. Une des causes essentielles du semi-échec de cette politique réformatrice tient à l'ingérence croissante des Européens dans les affaires marocaines.
Le souci permanent de Moulay Hassan de sauvegarder l'indépendance de l'empire l'incita à utiliser constamment les mêmes procédés : paiement de toutes les indemnités réclamées par les Européens ; neutralisation des ambitions des différentes puissances en les opposant les unes aux autres ; recherche d'un appui auprès des gouvernements européens paraissant les moins dangereux ; affirmation constante des droits chérifiens sur « le plus grand Maroc ».
La défense systématique de ses droits sur les marges du pays ne garantissait que de façon précaire l'avenir tout en étant, dans l'immédiat, une source de dépenses compromettant l'œuvre essentielle de réformes. Elle ne permit à Moulay Hassan ni de resserrer les liens avec le Touat (oasis des confins algéro-marocains) ni de créer dans le Sahara occidental une situation telle qu'elle y confirmât, sans doute aucun, la légitimité du pouvoir chérifien.
Cette politique de prudence et de défiance s'étendait aux rapports avec la Turquie. La rivalité religieuse entre les deux sultans l'explique, comme la crainte de l'action de certaines confréries ou de l'opposition d'une partie de la bourgeoisie lettrée de Tétouan. Cette méfiance empêcha le makhzen qui craignait l'Europe de se tourner pour sa modernisation vers le Proche-Orient. Lorsque Moulay Hassan meurt le 6 juin 1894, l'émotion est considérable. En vingt ans de règne, le souverain avait pu sauvegarder l'indépendance du pays, reconstituer le Trésor, organiser une certaine force militaire. Résultat fragile : il tenait à la personnalité de Moulay Hassan et aux circonstances qui avaient neutralisé les rivalités des puissances.
Moulay Hassan avait bien pu maintenir l'édifice, favoriser la montée de deux forces socio-politiques nouvelles : celle des pouvoirs économiques urbains, notamment de la classe des bourgeois-commerçants enrichis par les échanges avec l'Europe, celle des grands pouvoirs féodaux du Sud. Les antagonismes entre ces classes allaient rapidement, après la disparition du sultan, dévoiler la faiblesse profonde de son œuvre, favoriser la pénétration économique de l'Europe, la mainmise politique de la France.
D'avoir représenté le dernier rempart du vieux Maroc valut à la mémoire de Moulay Hassan une réelle popularité. Le mythe du « bon et grand souverain » se développa rapidement. Son règne, entre la prudence réformatrice de Sidi Mohammed et l'enthousiasme novateur brouillon d'Abd el-Aziz, est comme le dernier éclat de la sagesse politique du vieux Maroc.
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Écrit par
- Jean-Louis MIÈGE : professeur émérite d'histoire à l'université de Provence
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Autres références
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MAROC
- Écrit par Raffaele CATTEDRA , Myriam CATUSSE , Encyclopædia Universalis , Fernand JOLY , Jean-Louis MIÈGE , Pierre VERMEREN et Benjamin BADIER
- 21 234 mots
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Moūlāy Ḥasan (1873-1894), l'un des plus grands sultans de l'histoire marocaine, s'efforça prudemment de moderniser le pays, sans tomber sous l'influence dominante d'une puissance ; d'opposer les unes aux autres les rivalités, sans concessions majeures ; d'affirmer, au prix de coûteuses expéditions militaires,...
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