HAVEL VÁCLAV (1936-2011)
Homme de lettres devenu homme d'État, Václav Havel restera pour ses concitoyens l'incarnation du philosophe-roi. Comme son illustre prédécesseur Tomas Masaryk, premier président de la République tchécoslovaque de 1918 à 1935, il représente l'intellectuel engagé que des circonstances exceptionnelles propulsent sur le devant de la scène politique.
Václav Havel est né le 5 octobre 1936 dans une famille de la grande bourgeoisie tchèque. Son grand-père paternel fit construire au début du xxe siècle le palais Lucerna dans le centre de Prague, puis les studios de cinéma Barrandov que dirigea son oncle Milos. Son grand-père maternel était diplomate et fut brièvement ministre à la fin des années 1930. Ces origines de « privilégié » suffirent à faire rapidement de lui un marginal déclassé sous le régime communiste. Il se fraya pourtant un chemin vers la littérature et plus particulièrement vers le théâtre avant de devenir, après 1968, la figure emblématique de la dissidence. On peut ainsi distinguer dans sa biographie trois phases complémentaires : l'écrivain et dramaturge qui perce lors du dégel des années 1960, le dissident fondateur de la Charte 77 sous le régime de la « normalisation » après l'écrasement du Printemps de Prague en 1968, enfin le président de décembre 1989 à février 2003.
Son œuvre de dramaturge est influencée par le théâtre de l'absurde de Beckett et Ionesco. Engagé au Théâtre de la Balustrade comme machiniste dans un premier temps, il s'y fait connaître comme auteur avec La Fête en plein air (Zahradní slavnost, 1963) et Le rapport dont vous êtes l'objet (Vyrozumění, 1965) qui met à nu les mécanismes de la manipulation par le langage : le « ptydepe », langue artificielle que seuls quelques initiés sont censés comprendre mais que tous doivent apprendre, évoque alors pour le public une satire de la langue de bois des années 1950. Une autre pièce, Plus moyen de se concentrer (Ztížená možnost soustředění, 1968), poursuit ce thème et les rapports du langage et du pouvoir.
À partir de 1969, Václav Havel est interdit de publication et s'investit de plus en plus dans les activités d'une opposition en gestation au régime imposé après l'occupation soviétique d'août 1968. Cette opposition prendra corps avec la Charte 77, manifeste des droits de l'homme publié au début de janvier 1977, dont Václav Havel est l'un des auteurs et, avec le philosophe Jan Patočka, le porte-parole le plus éminent. La démarche de la Charte consistait à ne plus contester le régime au nom de son idéologie socialiste, mais d'exiger le respect des droits de l'homme conformément à la convention de l'O.N.U. et de la « troisième corbeille » des accords d'Helsinki (1975) que le régime avait signés. Son engagement dans la dissidence valut à Havel trois séjours en prison (1978, 1979-1983, 1989), qui constituèrent aux yeux de la population tchécoslovaque un capital de confiance qui explique en partie son identification avec l'écrivain dissident lors de la « révolution de velours » de 1989.
L'autre héritage de cette période, c'est la naissance dans la dissidence d'un penseur politique. Sa Lettre ouverte à Gustáv Husák (1975) et surtout Le Pouvoir des sans-pouvoir (Moc bezmocnych, 1978) sont devenus des classiques lus dans le monde entier. On y trouve certaines idées fortes, à savoir que toute politique digne de ce nom doit se fonder sur l'éthique. Le refus du mensonge institutionnalisé (ce qu'Havel appelait « vivre dans la vérité ») et de la coresponsabilité de chacun dans le sort de la Cité sont les premiers fondements d'un engagement civique. En outre, la sortie du post-totalitarisme ne viendra pas d'une réforme du système de l'intérieur, mais suppose l'émergence, dans l'adversité, d'une culture indépendante, d'une société civile,[...]
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Écrit par
- Jacques RUPNIK : directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques
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