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HEARTFIELD HELMUT HERZFELD dit JOHN (1891-1968)

Artiste allemand. « Chez Heartfield, le graphiste et le typographe ne furent jamais complètement supplantés par le „photomonteur“. » Ce propos de Wieland Herzfelde, frère de Helmut Herzfeld, dit John Heartfield, a pour premier mérite de relativiser l'intérêt du débat concernant la paternité du photomontage – invention de Heartfield ou de Raoul Hausmann ? Mais il rappelle surtout que Heartfield fut d'abord un travailleur de l'image. Son refus viscéral de l'art « bourgeois » autorise d'ailleurs certains à voir en lui un pionnier de la publicité, ou le chaînon manquant entre Dada et Andy Warhol. C'est oublier toutefois que son œuvre reste pertinente au-delà de l'agit-prop, et que sa diffusion à grande échelle ne fut en rien à ses yeux antinomique d'une recherche formelle profondément originale. À ce titre, les images de John Heartfield posent aujourd'hui encore avec acuité la question de la fin et des moyens de l'art.

Helmut Herzfeld, né le 19 juin 1891 à Schmargendorf près de Berlin, est le fils d'activistes socialistes qui abandonnent leurs enfants, en 1899, avant de mourir prématurément. En 1908, il entame des études à la Kunstgewerbeschule de Munich, où il se spécialise dans le dessin publicitaire, puis il s'installe en 1913 à Berlin. Lorsque la guerre éclate, il simule une maladie nerveuse pour échapper à la conscription. En 1915, Helmut et Wieland (lequel a été jugé « indigne de porter l'uniforme du Kaiser ») rencontrent leur contemporain Georg Gross. Ils nouent une amitié fondée sur des affinités esthétiques et politiques. En 1916, chacun modifie son nom, en réaction contre les injonctions haineuses de l'Allemagne vis-à-vis des Anglais. Devenus John Heartfield, Wieland Herzfelde et George Grosz, ils relancent alors la revue pacifiste Neue Jugend, affirmant leurs convictions, mais aussi leur volonté de toucher le plus grand nombre. Les « photocollages » réalisés avec Grosz sont estampillés « Grosz-Heartfield mont. » (pour montiert). Par rejet de l'expressionnisme et de toute subjectivité artistique, Heartfield a en effet abandonné les pinceaux, estimant que si « les bourgeois utilisaient la photographie pour glorifier la guerre [...], les ouvriers devaient [l'] utiliser eux aussi pour [...] dire la vérité sur la guerre ».

En 1918, il contribue à la fondation du club Dada de Berlin, avec Richard Huelsenbeck, Raoul Hausmann et Hannah Höch, et adhère au parti communiste (K.P.D.). Après l'interdiction de la revue Neue Jugend en 1917, Heartfield poursuit son travail au sein des éditions Malik, créées la même année par Wieland, en réalisant des jaquettes de livres où déjà sont à l'œuvre les principes du photomontage. Bientôt, Heartfield ne concevra plus son travail – que ce soit, dès 1920, en créant des costumes et décors pour le Théâtre prolétarien d'Erwin Piscator et de Max Reinhardt, en réalisant à partir de 1922 des brochures pour le K.P.D., en donnant des cours à l'École ouvrière marxiste ou en produisant des illustrations pour les revues Die Rote Fahne, Der Knüppel, puis plus tard A.I.Z. (Arbeiter Illustrierte Zeitung) – que comme un instrument de communication et une arme de guerre « visuelle ».

L'art du montage selon Heartfield atteint sa pleine maturité avec la publication, en 1929, du livre de Kurt Tucholsky, Deutschland, Deutschland über alles, qu'il illustre de photographies et de photomontages. L'impact de sa méthode est tel qu'elle fait l'objet de débats jusqu'en Union soviétique, en 1931-1932. Certains reprochent à Heartfield l'économie de ses compositions, qui misent moins sur les effets qu'elles ne favorisent la lecture d'une idée. Opérant par détournement, Heartfield exploite en effet les mécanismes de la propagande pour mieux les mettre en lumière. Le découpage et l'agencement d'images préexistantes[...]

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Écrit par

  • : docteur en histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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