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HEDDA GABLER, Henrik Ibsen Fiche de lecture

Une méditation sur la misère et la grandeur de l'homme

Cette pièce est parfaitement cruelle. Avec elle, il est vraisemblable qu'Ibsen entendait régler certains de ses comptes avec la société bien pensante et étriquée au sein de laquelle il évoluait, respectueuse jusqu'à la démesure du qu'en-dira-t-on et épouvantée par le « scandale » : Hedda Gabler révèle la répulsion de l'écrivain pour un certain type de luthéranisme puritain. Mais il faut voir aussi dans Hedda Gabler une variation de plus sur le thème fondamental de l'œuvre d'Ibsen : l'incapacité de concilier une authentique passion de la liberté et de la vérité avec la pesanteur des pulsions les plus basses et des passions débridées. Il est clair que Hedda vit dans des rêves plus ou moins romantiques, qu'elle est incapable d'accepter sa condition d'être humain, et qu'elle passe sa brève existence à projeter sur autrui les fantasmes dont elle a été nourrie.

On ne saurait récuser les interprétations qui pourraient découler de l'attention quasi obsédante qu'Ibsen porta au démoniaque qui est en nous, et dont Freud allait se faire l'explorateur. Il faut tout de même souligner que l'écrivain avait lu avec passion les écrits du philosophe danois Kierkegaard, notamment à propos de la vocation humaine qu'il importe de respecter absolument, ou de l'authenticité, seul gage véritable de la valeur d'une destinée, ou encore de l'engagement, seule jauge de notre valeur. Ces notions sont à la fois caricaturées par divers personnages de la pièce et refusées par l'héroïne centrale. Mais, comme souvent chez Ibsen, il convient de prêter attention à des figures apparemment secondaires qui, peut-être, sont chargées de transmettre le meilleur de ce message. Ainsi la tante Juliane qui affirme que tant que l'on est capable de porter secours à un malheureux, on confère un sens à sa propre vie, ou Thea Elvsted dont l'amour, au lieu de donner lieu à toutes sortes de figurations hyperboliques et fausses, se traduit en actes humbles et utiles.

Mais la force de cette étrange pièce tient certainement à son ambiguïté. Comme toujours, Ibsen nous demande de ne pas condamner, ni d'admirer sans réserve. L'être humain est d'une telle complication qu'il vaut mieux l'approcher dans sa prodigieuse complexité que de chercher à l'enfermer dans des formules toutes faites. Une fois de plus, il nous propose là une méditation profonde sur la misère et la grandeur de l'homme, tout en condamnant sans ambages ceux qui furent ses ennemis de toujours, les imbéciles.

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Autres références

  • DUSE ELEONORA (1858-1924)

    • Écrit par
    • 923 mots

    Actrice italienne qui trouva ses meilleurs rôles chez deux grands dramaturges européens : l'Italien Gabriele D'Annunzio et le Norvégien Henrik Ibsen.

    Née à Vigevano, en Lombardie, le 3 octobre 1858, la Duse, issue d'un milieu d'acteurs, fit ses débuts au théâtre à l'âge de quatre ans dans...