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HÉDONISME

La pratique du plaisir comme ascèse

L'hédonisme vise à la sagesse qui est maîtrise, et d'abord maîtrise de soi. À la différence d'Aristippe, Platon instaure un détour essentiel où la sagesse est à la fois recherche du bien et du vrai qui, s'ils sont coextensifs au cœur de l'Être, ne le sont plus lorsque leur mode d'apparaître est lié au devenir. Platon organise une chasse prudente et difficile à laquelle les cyrénaïques préfèrent la prise. Aristippe, au sujet de ses rapports avec la belle Laïs, tient à préciser : « Je possède, je ne suis pas possédé. » Le bon sens et les philosophes n'en croient rien, qui dénoncent là une conduite scandaleuse, une prétention fallacieuse et ridicule. Mais l'opinion commune et l'orthodoxie philosophique s'identifient par faiblesse et par peur à la belle Laïs en proie à elle-même, et elles sont idolâtres du vrai, du juste, du beau... La jouissance ne saurait être justifiée, puisqu'elle enveloppe tout l'homme pareil à une ville assiégée, puisqu'elle est la condition même pour celui-ci de s'affranchir et de se libérer sans abstraire ni diviser, sans arbitraire, ni conventions, ni préjugés. Aussi, les plaisirs de l'âme et les plaisirs du corps sont logés à la même enseigne : signes de la richesse de la nature et expression d'un optimisme fondamental ; car les uns et les autres sont, pour l'homme, pure présence à soi en tant qu'il est nature. Les objets de plaisir sont indiscernables en droit et indifférents en fait ; ils ne déterminent donc pas des plaisirs spécifiquement différents. Autrement dit, l'écart qu'instituerait la relation désirante est contracté au bénéfice d'une fusion où sujet et objet rythment leur accord au gré d'un devenir égal à lui-même. Si cet accord paraît délicat à réaliser et problématique comme l'est une dialectique sans fin où l'homme est maître abusé et esclave pervers, c'est parce que l'homme s'inscrit en faux dans l'élément naturel, introduisant dans l'état de nature des contraintes culturelles aussi subtiles qu'envoûtantes et irrépressibles, substituant à la possession du bien des prétentions au « mieux », au vrai, à l'utile, qui sont autant de préventions et de précipitations douloureuses. L'ascèse hédoniste est donc sans degré, abandon qui est prise, coup d'État et de grâce. C'est pourquoi les sciences et la politique sont indifférentes aux cyrénaïques, moins du fait de leur vanité que parce qu'elles sont l'expression subversive d'un état où tout un chacun, maître et esclave tour à tour, perd son identité propre et poursuit le plaisir plutôt qu'il n'en jouit. Au contraire du cynique, Aristippe ne veut pas commander, ni disposer de pouvoirs, car il ne veut pas devenir l'esclave même de la cité, pas plus qu'il ne possède la belle Laïs pour assouvir des désirs.

Aristote, dont on a pu dire qu'il professe un hédonisme rationnel, a parfaitement mis en évidence en l'approfondissant cet aspect de la doctrine des cyrénaïques. Sans doute est-ce à la formulation d' Eudoxe de Cnide (mort en 355 av. J.-C.) qu'il se réfère ; ce dernier s'en tient à la constatation suivante : tous cherchent le plaisir, fuient la douleur et s'arrêtent au plaisir comme à une fin. Pour Aristote, le plaisir est une manière d'être positive, une qualité non seulement en droit, comme pour Platon, mais en fait ; il n'est donc pas dans la poursuite, ni dans la possession : ni simple négation du mouvement ni absence de douleur et repos. Il participe du mouvement, mais d'un mouvement polyphasique, dont le but est de s'accomplir et de parvenir à terme. Rapide, ou lent, le plaisir cède à l'instabilité et à l'imperfection de l'infini, lorsqu'il est pure répétition[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, assistant au département de philosophie de l'université de Poitiers

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Cratère, vase grec, banquet - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Cratère, vase grec, banquet

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