HEIKE MONOGATARI
Grandeur et misère des Taira
Enrichi de la sorte au fil des siècles par divers rhapsodes, le Heike monogatari néanmoins conserve une étonnante unité de ton et de composition. Les six premiers livres décrivent en effet la grandeur des Taira, laquelle atteignit son apogée avec Kiyomori. L'orgueil et la démesure de celui-ci cependant contenaient en germe les conditions de leur chute, prévue et prédite par le vertueux fils de Kiyomori, Shigemori le Sage (au sens confucéen du terme). La mort de ces deux personnages complémentaires et les excès de Munemori, leur successeur, héritier des défauts de Kiyomori mais non de son sens politique, entraînent la révolte des Minamoto, dont les six derniers livres narrent les exploits : les Taira, chassés de la capitale, errent sur les mers occidentales, avant que de périr sous les coups du preux Yoshitsune à la bataille navale de Dan-no-ura, où sombrent les derniers restes de leur splendeur. Le récit de la fin du jeune empereur Antoku, petit-fils par sa mère de Kiyomori, que la veuve de ce dernier, Nii-no-ama, entraîne dans les flots, apporte à l'épopée des Taira une conclusion dramatique dont la sombre grandeur et la force symbolique mettent en évidence la dimension tragique du destin exemplaire de l'orgueilleuse famille qui, pour un temps, s'était crue maîtresse de l'Empire.
Les Minamoto triomphent et leur chef Yoritomo se fait investir du titre de shōgun (régent militaire). Mais déjà la discorde divise les vainqueurs, annonçant leur chute inéluctable : Yoritomo, troublé par les conseils perfides de son entourage, jaloux des succès de son frère cadet Yoshitsune, projette de faire assassiner celui-ci ; déjouant ses desseins, le jeune héros gagne les terres de ses alliés des provinces du Nord, où il périra dans des conditions obscures. Un dernier épisode enfin montre, dans un asile de paix des montagnes proches de la capitale, l'impératrice Kenreimon-in, fille de Kiyomori et mère d'Antoku, qui, entrée en religion, consacre le reste de ses jours à prier pour ses proches défunts.
Ainsi se trouve illustrée, en ce récit implacable de la grandeur et de la chute des Taira, en ce drame parfait d'une construction rigoureuse, la vanité des entreprises humaines qu'affirmaient les maximes énoncées dans les premières lignes de la Geste : « Du monastère de Gion le son de la cloche, de l'impermanence de toutes choses est la résonance. De l'arbre shara la couleur de la fleur montre que l'homme prospère nécessairement choit. L'orgueilleux non plus ne dure, tout juste pareil au songe d'une nuit de printemps. L'homme valeureux lui aussi finit par s'écrouler, ni plus ni moins que poussière au vent. »
Avertissement solennel que vient corroborer, en une série d'épisodes secondaires, interpolés sans doute, mais non superflus, le récit des aventures de tel ou tel comparse, tragédies humaines parallèles à l'immense drame historique dans lequel l'individu se trouve entraîné comme fétu de paille, drame auquel elles contribuent à rendre ses véritables dimensions en le ramenant à la mesure de l'homme, qu'il soit empereur ou moine, ministre ou guerrier, princesse altière ou humble courtisane.
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Écrit par
- René SIEFFERT : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
Classification
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