HEINE HEINRICH (1797-1856)
Plus d'un siècle après sa mort, Heine demeure un écrivain discuté, en particulier dans son propre pays. Sans qu'on lui dénie du talent, sa personne est souvent mise en cause et son nom passionne les débats. Auteur de lieder, et parmi les plus populaires dans les pays de langue allemande, il semblerait devoir, par là, échapper aux polémiques ; mais son œuvre lyrique compte aussi de grandes parties satiriques dont les traits portent et réveillent d'anciennes blessures.
Il a échoué au théâtre et ne s'est jamais essayé au roman, mais il a découvert, avec le récit de voyage, une forme flexible, capable de supporter toutes les digressions et toutes les variations, et il a su, avec une exceptionnelle virtuosité, y mêler la prose et les vers, la rêverie et la moquerie, les bons mots et les aperçus soudainement révélateurs. Aussi a-t-il été, sa vie durant, journaliste, principalement à Paris où il vint après la révolution de Juillet.
Il lui apparut alors que sa mission serait de servir d'interprète aux deux littératures, analysant l'Allemagne pour le public français et faisant à ses lecteurs allemands le tableau de Paris. Ce dédoublement lui a été quelquefois reproché, surtout du côté allemand où on lui pardonne souvent mal sa liberté de jugement, son goût de l'irrévérence. Pourtant, c'est le chancelier Bismarck lui-même qui l'a défendu, un jour, au Reichstag : « N'oubliez pas, Messieurs, qu'il est, après Goethe, l'auteur des plus beaux lieder en langue allemande. »
De Düsseldorf aux universités
Heinrich Heine a écrit que toute sa carrière, au long de sa vie, s'expliquait par ses origines. Il voulait rappeler par là qu'il était né dans une famille juive, à Düsseldorf, au bord du Rhin, en un temps où cette ville était française (elle devait le demeurer durant la période napoléonienne). Les juifs de Düsseldorf jouissaient en 1799 de plus de libertés et de droits que dans la plupart des autres villes allemandes et, si l'on en croit ses souvenirs, le jeune Heinrich, d'abord appelé Harry, a beaucoup vécu dans les rues et dans les cours, avec les enfants du voisinage, à écouter le soir des histoires et des chansons. Légendes pieuses et histoires de bourreaux, chansons d'amour et de malheur, peuplées de spectres et de démons familiers, c'est le fond où le poète devait, plus tard, largement puiser ; c'est la source d'où sont sortis les « esprits élémentaires » qui revivent dans ses vers comme dans les contes romantiques. Beaucoup plus sensible aux sons qu'aux couleurs et aux formes, Heine a été, dès son enfance, très réceptif aux mots, avant même d'en mesurer toujours le sens, et il était encore écolier qu'il savait déjà conter et jeter sur le papier des histoires imaginées, à la grande joie de sa sœur Charlotte.
Après les légendes du Rhin, ce sont les souvenirs de l'épopée napoléonienne qui ont marqué ses jeunes années : le tambour de la vieille garde qui raconte ses campagnes ; les cavaliers de Murat dans le Hofgarten de Düsseldorf ; enfin, quand tout est fini, la troupe misérable des grenadiers, revenus de leur captivité en Sibérie, que Heine raconte avoir vue un jour dans ce même Hofgarten et qu'il a immortalisée dans sa ballade.
Pour assurer l'avenir du jeune Harry qui se révélait inapte au commerce, son oncle Salomon Heine, qui avait édifié une grande fortune à Hambourg, lui fit faire des études de droit. Médiocre étudiant, il fut bon patriote libéral, fervent d'un passé national que la génération romantique de la guerre de libération (1813-1815) venait de sauver de l'oubli et qu'on cultivait particulièrement à Bonn. Heine passa deux semestres dans cette ville, suivant les cours de Schlegel et de Arndt, souvent en compagnie de Simrock qui devait consacrer sa vie à la poésie allemande ancienne.[...]
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Écrit par
- Pierre GRAPPIN : auteur
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