NEUHAUS HEINRICH (1888-1964)
Le pianiste russe Heinrich Neuhaus est sans conteste l'un des plus subtils et allusifs artistes de l'histoire du clavier. C'est pourtant à lui que l'on doit la naissance de la très athlétique école soviétique de piano et le triomphe, pendant de longues années, de ses doigts d'acier. Le professeur fut l'un des plus grands de son temps. L'interprète, pour avoir eu une carrière plus discrète – et russe pour l'essentiel –, demeure l'un des plus admirables de sa génération.
Heinrich Gustavovitch Neuhaus naît le 12 avril 1888 à Elisabethgrad (aujourd'hui Kirovohrad), en Ukraine, dans une famille tout entière dédiée à la musique : son père, Gustav Neuhaus (1847-1938), originaire de Rhénanie, lui-même élève de Ferdinand Hiller, lui donne ses premières leçons ; le compositeur, chef d'orchestre et pianiste russe Felix Blumenfeld est son oncle ; le compositeur polonais Karol Szymanowski est son cousin germain (celui-ci lui dédiera en 1905 sa Fantaisie en ut majeur op. 14 et, en 1916, le deuxième de ses trois Masques op. 34)... À l'âge de neuf ans, Heinrich Neuhaus donne son premier concert public. Il effectue en 1904, à seize ans, une première tournée en Allemagne, où il joue notamment avec l'Orchestre philharmonique de Berlin. À Berlin, le jeune musicien se perfectionne, pour le piano, avec Karl Heinrich Barth – disciple à la fois de Hans von Bülow et de Carl Tausig – et, pour la composition, avec Paul Juon. De 1912 à 1914, il travaille à l'Académie de musique de Vienne avec un étonnant virtuose totalement autodidacte, Leopold Godowsky. À la déclaration de guerre, il retourne en Russie.
Heinrich Neuhaus va dès lors se consacrer essentiellement à l'enseignement. D'abord professeur au Conservatoire de Tiflis (Tbilissi), en Géorgie (1916-1917) puis au Conservatoire de Kiev (1918-1922), il est ensuite appelé par le Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, où il enseignera de 1922 jusqu'à sa mort, en 1964 ; il en sera même le directeur pendant quelques années, de 1935 à 1937. Si le rang du pédagogue se mesure au talent de ses élèves – Sviatoslav Richter, Emil Guilels, Evgeni Malinin, Yakov Zak, Ryszard Bakst, Alekseï Lubimov, Victor Eresco, Vladimir Krainev, Radu Lupu... –, la place qu'il faut réserver à Heinrich Neuhaus est parmi les toutes premières. Il rassemblera les principes de son enseignement dans son ouvrage L'Art du piano. Notes d'un professeur, dont la première édition paraît à Moscou, en russe, en 1958, et qui connaîtra une diffusion internationale considérable ; la première traduction française de cet ouvrage date de 1971 (Van de Velde, Tours). Heinrich Neuhaus meurt à Moscou le 10 octobre 1964. Son fils Stanislas Neuhaus (1927-1980) mènera comme pianiste et professeur au Conservatoire Tchaïkovski une brillante carrière, sans pour autant approcher la gloire de son père.
Peu de traces ont été conservées du jeu de cet artiste exceptionnel : de rares concerts et quelques séances d'enregistrement. Paradoxalement, c'est dans l'intériorité de la tradition germanique et non pas dans les élans appuyés du tempérament slave qu'il puise la force et la noblesse d'un style unique, caractérisé par la sobriété des effets, la fermeté de la construction, le contrôle absolu de la ligne de chant et des plans sonores. Sans rien abandonner de cette exigence, Heinrich Neuhaus parvient à trouver cette respiration naturelle, cette luminosité du son et cette infinie palette de couleurs qui font vivre un répertoire qui couvre tout à la fois Bach, Mozart, Beethoven, Scriabine et Debussy. Mais c'est dans Chopin qu'il laisse sans doute la plus haute expression de son art. Qui, aussi bien que lui, a su doser, avec cette liberté d'allure et cette sensibilité raffinée, le rubato qui fait frémir les ornementations et les longues mélodies du compositeur polonais ? Dans des[...]
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
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