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HEINRICH VON MORUNGEN (mort en 1222)

Originaire du château de Morungen, près de Sangerhausen, en Thuringe, le ministérial Henrich von Morungen, un des grands représentants de l'été du Minnesang, fait ses débuts poétiques vers 1190. Des documents attestent son existence en 1217-1218. Ce sont là les seuls éléments sûrs dont nous disposons. À la charnière du xve et du xvie siècle, une tradition prétend que Heinrich von Morungen serait entré au monastère Saint-Thomas de Leipzig, qu'il aurait fait un voyage en Inde et serait décédé en 1222.

La Ballade du noble sire de Morungen, attestée pour la première fois en 1459 et reprenant les éléments d'un exemplum de Césaire de Heisterbach (vers 1220-1225), pourrait confirmer ces informations. On pense plutôt qu'il s'agit là d'une légende qui s'est attachée au poète, comme d'autres s'attachèrent au Tannhäuser, à Neidhart et à Konrad von Würzburg.

Heinrich von Morungen incarne le minnesang dans ce qu'il a de meilleur, et il reprend les grands thèmes connus du vasselage d'amour, de la guerre amoureuse et du « chanter ou se taire » (XIII). Il nous a laissé cent quinze strophes qui se répartissent en trente-cinq tons, le ton étant l'édifice musical et rythmique d'une strophe. Trois grandes influences se distinguent dans son œuvre : celle de l'Antiquité classique, d'Ovide notamment auquel il emprunte les thèmes de Narcisse et d'Écho, de Procné et de Philomèle ; celle du lyrisme religieux et marial ; celle du lyrisme des troubadours, surtout de Bernard de Ventadour, Guilhem de Cabestanh et de Peirol.

Mais il a aussi été marqué par ses prédécesseurs, Henri de Veldeke, Frédéric de Hausen et Rodolphe de Fenis. Heinrich von Morungen utilise exclusivement la forme de la canzone, et se révèle un virtuose de la rime et un maître du dactyle. Sur le plan de la métrique et des images, ses poèmes offrent un tissu dense de répons (cf. XXI). La dame est l'étoile du matin, la lune épanouie, le soleil inaccessible au zénith ou un couchant éblouissant. En dehors de ces topoi du minnesang, Heinrich décrit la dame et ose s'adresser directement à elle, ce qui est une partie de son originalité. Il apostrophe la bien-aimée, la traite de brigande (IX, 1) et de douce meurtrière (XXXIV). La dame n'est pas l'hypostase d'abstraites vertus, elle vit sous nos yeux, apparaît tour à tour comme une suzeraine lunatique, une démoniaque magicienne (V), Vénus (XXII, 3)... Nous l'apercevons à la fenêtre (VIII), appuyée au créneau ou dansant (XXIII), dans son lit que baigne le clair de lune (XXX) ; nous la voyons sourire, dévisager le poète, pâlir et rougir. Elle vit sous nos yeux, tout comme le poète qui est joyeux (IV), triste (XXIX), jaloux (XIa, 2), résigné (XVII), badin (XVII) ou courroucé (III, 3) ; il préfère brûler en enfer plutôt que de servir la dame plus longtemps. On le constate, les poèmes de Heinrich von Morungen possèdent une rare force d'évocation ; ils sont humains, reflètent des caractères plutôt que de décrire des types, et le poète est autant impressionné par la beauté que par les qualités morales de la dame.

Après Heinrich von Morungen, le minnesang devient abstrait et trop spiritualisé, notamment avec Reinmar de Haguenau, et il faut attendre Walther von der Vogelweide pour revenir à un lyrisme qui ne se coupe pas de toute réalité.

— Claude LECOUTEUX

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Écrit par

  • : professeur de langues et littératures allemandes et germaniques à l'université de Caen

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