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WÖLFFLIN HEINRICH (1864-1945)

La forme est une notion ambiguë dans les arts visuels ; elle y désigne tantôt la configuration de l'objet représenté par l'artiste, tantôt les éléments et le système dont il se sert pour rendre compte des objets. Dans le premier sens, la forme s'impose, déjà constituée, au moment où l'artiste va la transposer. Dans le second sens, elle est le principe qui organise l'œuvre d'art et la rend porteuse de sens. Comme, en réalité, le choix des objets par l'artiste est intimement lié au style, il n'est presque pas possible de distinguer une forme « signifiante » d'une forme « signifiée ».

Les difficultés de l'académisme à la fin du xixe siècle, l'irréductibilité constatée du monde extérieur à l'œuvre d'art suscitèrent une conscience nouvelle du double aspect de la forme. Les expériences des peintres rendaient en effet discutable d'attribuer à des troubles oculaires la dernière manière de Titien ; le rôle de Wölfflin fut d'introduire en histoire de l'art une conception de la forme qui permette d'approcher ces difficultés.

Un professeur et un théoricien

Né à Winterthur, en Suisse, dans un milieu de haute culture (son père était philologue et fonda le Thesaurus linguae latinae), Heinrich Wölfflin étudia l'histoire et la théorie de l'art à Bâle, à Berlin et à Munich où il soutint à vingt-deux ans une thèse de doctorat : Prolegomena zu einer Psychologie der Architektur. C'est encore de l' architecture, domaine privilégié pour l'étude des formes, qu'il traite à vingt-quatre ans dans Renaissanceet Baroque (Renaissance und Barock, 1888), essai qui vise à définir les valeurs formelles propres au baroque en les opposant au classicisme de la Renaissance. À l'encontre de ses prédécesseurs, Wölfflin renonce à interpréter le baroque comme un prolongement aberrant du style antérieur, mais le comprend comme une totalité esthétique neuve qui ne relève que de son propre critère du goût.

Sa pensée évolue au contact de celle de Jacob Burckhardt, avec qui il entretient une importante correspondance (éditée), sans pour autant faire sien le projet d'une histoire culturelle de l'art. Il rencontre en 1889 le sculpteur et théoricien Adolf Hildebrand ainsi que son ami C. Fiedler et leur doit une attention à la « visualité pure » (reine Sichtbarkeit), qui détermine pour une bonne part son orientation « formaliste ».

Professeur, Wölfflin enseigne à Bâle, où il succède à Burckhardt en 1893, puis à Berlin (1905), à Munich (1914) et à Zurich où il retourne en 1924 et où il mourra. Ses cours à Bâle et les voyages en Italie qui leur sont contemporains aboutissent à la publication, en 1899, de L'Art classique (Die klassische Kunst), analyse rigoureusement interne de l'art de la Renaissance à son apogée classique. En 1905 paraît Die Kunst Albrecht Dürers, la plus formelle sans doute des études consacrées à ce peintre. La biographie n'y tient pas lieu d'explication de l'œuvre ; elle relate l'inquiétude de l'artiste devant les problèmes de la forme et son ouverture progressive aux solutions classiques de l'Italie qu'il impose au vieil art allemand. Les Principes fondamentaux de l'histoire de l'art (Kunstgeschichtliche Grundbegriffe, 1915) constituent la somme, érigée en système, de la théorie de Wölfflin. Les Gedanken zur Kunstgeschichte (1941), où sont réédités deux articles relatifs à cette dernière œuvre, et les Kleine Schriften, recueil posthume d'articles écrits de 1886 à 1933, permettent de nuancer la présentation trop simplificatrice de sa pensée qu'on en tirerait.

Wölfflin, qui mettait l'expression orale de sa pensée au-dessus de son œuvre écrite, a formé une génération de disciples soucieux de préserver et de développer son enseignement.[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève

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