CIXOUS HÉLÈNE (1937- )
L'or de la langue
De fait, la surprise est grande, à relire aujourd'hui les fictions publiées dans les années 1970, comme Portrait du soleil : le chemin parcouru et les livres qui ont suivi permettent d'en décrypter des enjeux, encore invisibles à l’époque. Tout se passe comme si l'auteure avait dû s'enfoncer dans des terres inconnues, parfois inhospitalières, pour parvenir à libérer des puissances inédites dans la narration classique. Le travail sur le signifiant, en jouant des ambivalences de la langue, permet de dévoiler les significations souterraines des discours : ici, l’écriture veut mettre au jour ce qui anime la langue, le plus souvent à l'insu de celui qui prétend l'utiliser. Ainsi du travail sur la syllabe « or » dans OR, les lettres de mon père, paru en 1997, qui provoque dès la superposition du titre et du sous-titre, puis dans la trame du texte, une mobilité déroutante de la signification : car les lettres du père retrouvées par hasard près d'un demi-siècle après sa mort sont précieuses comme l'or, certes, mais l'on peut aussi bien entendre la conjonction « or », et à travers elle « l'être » réel du père qui s'annonce.
De ces processus performatifs destinés à laisser affleurer ce qui sourd sous les discours, on pourrait multiplier les exemples ; dans le très émouvant Le Jour où je n’étais pas là (2000), la syllabe « né » s'entend là encore dès le titre avant d’être liée tout au long du texte à la naissance d'un enfant « mongolien » quarante ans plus tôt, « enfant inexact » de l'auteure. La même syllabe est grosse, dans le même temps, de tout autre chose : grosse comme le « nez » au milieu de la figure, ce qui ne peut que renvoyer l'auteur à la judéité, à l'histoire familiale et personnelle dans ce qu'elle a de plus terrifiant et globalisant.
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Écrit par
- Bertrand LECLAIR : écrivain
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