CIXOUS HÉLÈNE (1937- )
Les livres de la mère
D'une manière à chaque fois aussi déroutante que fructueuse et immédiatement reconnaissable, de moins en moins difficiles à aborder, les livres des années 2000 ont libéré davantage encore la narration par le jeu laissé au signifiant qui les emporte, qu'il s'agisse de Tours promises (2004) proposant en son premier tiers un véritable art poétique, ou d’Hyperrêve (2006) qui, littéralement, travaille la peau du temps à travers le personnage récurrent de la mère de l'auteur, Ève, dont l'idiome aux échos germaniques faisait de longue date « évé-nement » dans les récits. Ève Cixous en est devenue le cœur battant à l’approche de son centenaire, alors qu’elle perdait pied dans la réalité ainsi que l’annonçait, dès son titre, Ève s’évade (2009). Récit d’un deuil douloureux, et cependant lumineux, Homère est morte... (2014), couronné par plusieurs prix, a cependant ouvert une nouvelle ère. La mémoire maternelle y est plus agissante que jamais dans sa confrontation vivifiante avec celle de la Shoah scrupuleusement entretenue par la ville allemande d’Osnabrück, où était née Eve Klein, la future Ève Cixous, en 1910. Cette dernière avait eu la prescience de quitter définitivement la ville dès les violentes prémices de sa nazification, en 1930, et parvint à en arracher sa propre mère in extremis, en 1937.
Hélène Cixous ne s’est rendue à Osnabrück pour la première fois qu’après le décès de sa mère, ainsi qu’elle le raconte dans Gare d’Osnabrück à Jérusalem (2016). Il en résulte une collision libératrice entre les archives officielles, très soigneusement collectées par cette ville au repentir indéniable, et la mémoire familiale entretenue par la mère et la grand-mère de l’auteure dans leur exil algérien. Cette mémoire intime, indemne de toute dimension commémorative, est libre, par exemple, de moquer tout un chacun et sa manière d’être qui n’appartenait qu’à lui, qui a disparu avec lui, et que les archives officielles ignoreront à jamais. Face à celles-ci, face aux Ruines bien rangées (2020) de l’ancienne synagogue au centre de la ville, la nécessité s’affirme : « Mon idée est d’écrire la chose qui empeste les cœurs, de regarder par les fentes de l’Histoire, dans laquelle ma petite enfance puise ses effrois et ses questionnements », écrit Hélène Cixous dans le grand brassage onirique des mémoires et des réalités qui en résultent.
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Écrit par
- Bertrand LECLAIR : écrivain
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