CIXOUS HÉLÈNE (1937- )
Une amitié exemplaire
Rencontré dès la fin des années 1950, Jacques Derrida (1930-2004) restera, dans tous les sens du terme, le premier lecteur d'Hélène Cixous, le plus subtil, le plus intelligent, ce dont témoigne avec force sa longue étude H.C. pour la vie, c'est-à-dire... (2002)
Comme une réponse, Insister. À Jacques Derrida (2006) a donné à son tour la mesure d’une amitié qui aura joué un rôle considérable dans l'œuvre et la vie d'Hélène Cixous. Non seulement par l'échange permanent qui les a nourris l'un l'autre pendant quarante-cinq ans, échange poétique autant que philosophique (durant ces années où s'imposait la notion de « déconstruction »), mais aussi par le poids considérable qu'a eu sur la scène publique l'engagement de Jacques Derrida en lecteur d'Hélène Cixous. Si cette connivence s'était manifestée bien avant, le public n'en a réellement pris conscience qu'en 1998, à la parution de Voiles, un magnifique ouvrage où se tissent leurs voix à partir d'une fiction hantée par la myopie et l'aveuglement.
En ce sens, Voiles a participé au « dévoilement » d'une autre Hélène Cixous que celle que stigmatisait une partie du milieu littéraire parisien, caricaturant à souhait son engagement militant. Cette stigmatisation procédait d'une ignorance d'autant plus grande que cet engagement ne s'est jamais borné au féminisme, pas plus que son écriture, même lorsqu’elle était l’une des auteures phares des éditions Des femmes, de 1975 à 1999. Non seulement elle fut parmi les maîtres d'œuvre de la révolution universitaire qu'a provoquée la création de l'université de Vincennes, en 1968, mais elle fut aussi, et par exemple, une militante extrêmement active du fameux Groupe d'information sur les prisons (GIP), au côté du philosophe Michel Foucault, son ami, durant les années 1970.
L'engagement primordial d'Hélène Cixous n'en reste pas moins littéraire. C'est ce qui l'incite à poursuivre depuis près de cinquante ans un séminaire bimensuel au Collège international de philosophie, dévoilant des mondes par le dépliement d'une phrase et la mise en lumière des puissances souterraines qui agissent les textes comme les hommes, le plus souvent à leur insu. C’est cette dimension majeure de l’œuvre d’Hélène Cixous, qui n’a jamais séparé les gestes de lire et d’écrire, que la publication intégrale des enregistrements de ce séminaire est destinée à mettre en lumière. Elle s’est ouverte avec les trois premières années universitaires du millénaire (2001-2004). Intitulé Lettres de fuite, ce premier volume vient rendre au signifiant « intelligence » toute sa mesure étymologique – associant inter- et legere, intelligere signifie en effet, au sens propre, « choisir (par l’esprit) entre (différents possibles) ». Si elle n’est pas la seule à se trouver sur la table de travail, l’œuvre de Marcel Proust occupe une place prépondérante dans Lettres de fuite, qui doit son nom à l’« être de fuite » que sera à jamais le personnage d’Albertine (À la Recherche du temps perdu). Elle y trouve un éclairage qui se révèle dans certaines pages d’une évidence foudroyante, à mille lieues des ouvrages érudits ou universitaires.
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Écrit par
- Bertrand LECLAIR : écrivain
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