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HÉLIOCENTRISME

Limites d'une révolution

S'il est vrai que l'œuvre scientifique de Copernic est déroutante – déroutante par sa minceur même, par les conditions de son apparition et, il faut bien l'avouer, par certaines de ses faiblesses –, s'il est vrai que Copernic a été ignorant de ses propres richesses, la simple objectivité oblige à cette constatation : avec Copernic, et avec lui seul, s'amorce un bouleversement d'où sortiront l'astronomie et la physique modernes. Les jugements et les choix de Descartes, de Galilée et de Kepler, pour ne citer que les plus grands, pèsent plus lourd dans la balance que les arguties des compteurs d'épicycles ! Il y a, sinon révolution, amorce certaine d'une révolution par l'ouverture profonde pratiquée dans l'enceinte de la forteresse aristotélicienne qui paraissait pourtant inexpugnable.

Les articles consacrés à l'héliocentrisme notent très souvent cette conséquence évidente que la Terre devient une planète comme toutes les autres, mais oublient généralement d'attirer l'attention sur la réciproque, d'une tout autre importance : si la Terre est une planète, alors les planètes sont des Terres ! Or la Terre est habitée, et donc, par analogie, pourquoi les planètes ne seraient-elles pas, elles aussi, habitées ? À partir du xviie siècle, la croyance en l'habitabilité des planètes du système solaire est largement répandue, Huygens y consacre son Cosmotheoros et Fontenelle, cartésien bon teint, ses... Entretiens sur la pluralité des mondes ; Kant, dans son Histoire universelle de la nature et théorie du ciel de 1755, consacre un long chapitre à la « psychologie » des habitants des différentes planètes, et Laplace lui-même, bien que son positivisme lui interdise d'aborder un problème qu'il n'a pas les moyens de résoudre, n'est pas choqué par cette croyance. Et, à la fin du xixe siècle, Camille Flammarion croira encore à l'habitabilité des planètes.

Autre conséquence, encore plus importante, de l'héliocentrisme proposé par Copernic : la réflexion sur la finitude ou l'infinitude de l'univers. La rotation du ciel tout entier dans le système géocentrique implique que le monde soit nécessairement de dimension finie. Tous les physiciens d'Aristote à Einstein refusent d'envisager des vitesses infinies. Une impossibilité qu'Aristote résumait en ces termes : l'infini ne peut pas être parcouru en un temps fini ; or les étoiles font le tour du ciel en vingt-quatre heures, temps manifestement non seulement fini mais particulièrement court ; il ne peut donc pas y avoir d'étoiles à l'infini puisqu'elles auraient à parcourir en une journée un cercle de circonférence infinie. Parmi les coperniciens le débat sur l'infinitude de l'univers s'ouvre très vite : le premier astronome à postuler un monde infini infiniment peuplé d'étoiles est l'Anglais Thomas Digges. En 1576, lors de la réédition de la Prédiction éternelle de son père, Leonard Digges, Thomas y ajoute un petit appendice, La Parfaite Description des orbes célestes, où l'on trouve la traduction en anglais de plusieurs passages importants du De revolutionibus et son propre schéma d'un univers héliocentrique. On y constate un éclatement de la sphère des étoiles et sa dispersion dans l'espace infini. Entre la sphère de Saturne et l'orbe étoilé, on lit : « Cet orbe des étoiles fixes qui possède une extension infinie en hauteur est ainsi le Palais immuable de la félicité, paré d'innombrables et glorieuses lumières à l'éclat perpétuel, la cour des anges célestes surpassant de loin, en quantité comme en qualité, notre Soleil, dépourvue de douleur, emplie d'une joie parfaite et infinie, séjour des élus. » Dans le texte lui-même, Digges précise : « Nous pouvons[...]

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Le système de Copernic - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Le système de Copernic

Ptolémée, Juste de Gand - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Ptolémée, Juste de Gand

Galilée, J.Sustermans - crédits : Universal History Archive/ Getty Images

Galilée, J.Sustermans

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