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HÉLOÏSE (1101-1164)

Née au début du xiie siècle, Héloïse passe son enfance et son adolescence au couvent d'Argenteuil puis à Paris, chez le chanoine Fulbert, son oncle ; elle est l'élève, puis devient la maîtresse d'Abélard (dont elle a un fils, nommé Astrolabe), et enfin sa femme, bien qu'elle ait d'abord refusé d'imposer ce lien à Abélard et qu'elle en nie ensuite l'existence : situation fausse qu'un nouveau séjour d'Héloïse à Argenteuil ne fait que rendre irréparable, puisque Fulbert, se croyant joué par Abélard, le fait émasculer.

Héloïse devient religieuse (1118), puis prieure, à Argenteuil ; elle est ensuite abbesse du Paraclet, couvent donné par Abélard (1129) aux religieuses d'Argenteuil expulsées du leur par Suger, abbé de Saint-Denis (dont dépendait Argenteuil). Elle y fait transférer le corps d'Abélard quelques mois après sa mort (1142), et y meurt elle-même.

Figure séduisante et complexe, dans laquelle ses contemporains ont d'abord vu (comme l'atteste Pierre le Vénérable) une jeune fille d'une science étonnante ; puis l'héroïne de chansons d'amour composées par Abélard et que tous chantaient ; puis encore une abbesse de grand renom, s'acquittant de sa tâche avec conscience, sens pratique et succès — telle apparaît Héloïse. Ses écrits connus sont très peu nombreux ; la plus grande partie s'en trouve dans le recueil de sa correspondance avec Abélard : sept lettres, sauf découverte nouvelle, dont quatre de sa part, qui ont suscité et suscitent encore des débats chez les historiens ; leur authenticité, à quelques nuances près, est probable. On y trouve aussi bien l'Héloïse des médiévaux (une femme « telle qu'on n'en a plus jamais vu », selon Jean de Meung ; « la tres sage Helloys » de Villon) que la femme au don total, l'amoureuse sensuelle et inconsolable qu'on voit en elle depuis le xviie siècle. On est surtout étonné de l'admirable audace de cette femme (devenue abbesse) qui (au sein de la chrétienté médiévale et sans guère avoir entendu parler, semble-t-il, des doctrines de l'amour courtois qui s'élaboraient ailleurs dans une direction tout autre) ose opposer l'amour au mariage et glorifier le premier contre le second. La parfaite soumission amoureuse qui fit sa joie dans ses rapports avec son amant se couronne ici d'une exceptionnelle fierté :

« Plutôt que de te contrarier, sur un mot de toi, j'ai eu le courage de me perdre moi-même [...]. Mon amour s'est transformé en délire ; il a, sans espoir de jamais le recouvrer, sacrifié le seul objet de ses vœux. Sur ton ordre donné, comme en te jouant [...], je t'ai montré que tu étais l'unique maître de mon cœur aussi bien que de mon corps. Jamais je n'ai cherché autre chose que toi en toi-même [...]. Le titre d'épouse a été jugé plus sacré et plus fort, pourtant c'est celui de maîtresse qui m'a toujours été plus doux et, si cela ne te choque pas, celui de concubine ou de fille de joie [...]. Tu as mieux aimé taire presque toutes les raisons qui me faisaient préférer l'amour au mariage, la liberté à une chaîne. J'en prends Dieu à témoin ; Auguste, maître de l'univers, m'eût-il offert l'honneur de son alliance et assuré à jamais l'empire du monde, le nom de courtisane avec toi m'aurait été plus doux que celui d'impératrice avec lui [...]. Ce n'est pas la vocation, c'est la volonté seule qui a jeté ma jeunesse dans les rigueurs de la vie monastique. Je n'ai point de récompense à attendre de Dieu ; il est certain que je n'ai rien fait pour l'amour de lui [...]. Tandis que je goûtais avec toi les plaisirs de la chair, on a pu se demander si je suivais l'impulsion de l'amour ou celle du plaisir. Maintenant la fin explique le début. J'en suis arrivée à renoncer à tous les plaisirs pour obéir à ta volonté. Je ne me suis rien réservé de moi-même, si ce n'est le droit[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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  • AMOUR

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