Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

TER BRUGGHEN HENDRICK (1588-1629)

Tempérament secret au comportement mélancolique, Ter Brugghen fit peu parler de lui de son vivant et les renseignements concernant sa vie et sa production sont rares ; son fils Richard le fait mentionner après sa mort dans l'Histoire de la peinture de Houbraken. On sait qu'il est né dans la province d'Overijsel, d'une famille aisée et catholique qui s'installa peu après à Utrecht, ville restée favorable au catholicisme. Sandrart rapporte que le jeune Ter Brugghen fait ses premières armes dans l'atelier du peintre maniériste Abraham Bloemart. Comme nombre d'artistes de sa génération, selon une tradition établie pour les peintres d'histoire hollandais depuis Scorel et Heemskerck, il part pour Rome vers 1604. De son séjour dans la Ville éternelle on ne sait rien, sinon qu'en 1614 il est de retour à Utrecht, premier des grands caravagesques nordiques à réintégrer sa patrie et à y faire connaître cet art nouveau instauré par Caravage (Honthorst et Baburen pour leur part ne rentrent que vers 1620). Il se marie en 1616 et devient membre de l'Académie de Saint-Luc au même moment. Il demeure fidèle à Utrecht jusqu'à sa mort et, malgré les tentatives de son fils Richard pour faire honorer la mémoire de son père, il restera longtemps oublié. Depuis les années 1960, les historiens d'art s'emploient à restituer son œuvre dans le cadre de la redécouverte de Caravage et du caravagisme.

De sa manière avant son départ pour le Sud et de ses recherches en Italie nous ne savons rien, sa première œuvre connue portant la date de 1616 (Saint Pierre, musée d'Utrecht). Dès 1619, alors qu'il n'a pas encore dépassé la trentaine, Ter Brugghen donne un chef-d'œuvre caractéristique de sa polychromie tendre et raffinée (rouge, vert, bleu) et de son savoureux réalisme archaïsant. Les diverses influences ont été assimilées par l'artiste en un style très personnel, et il n'est pas aisé de les cerner : cependant, son séjour en Italie n'a pas fait oublier à Ter Brugghen la tradition expressionniste des maîtres nordiques, voire un archaïsme très conscient et délibéré, puisé chez Dürer ou Grünewald (Crucifixion, Metropolitan Museum, New York), chez Lucas de Leyde ou Metsys pour certains types de personnages, bourreaux ou vieil homme à lunettes (Martyre de sainte Catherine, New York ; Vieillard écrivant, Smith College, Northampton ; Vocation de saint Matthieu, version légèrement antérieure au musée du Havre et Centraal Museum, Utrecht), ou chez des contemporains comme le jeune Jordaens ou Lastman (paysage de l'Adoration des Mages, Amsterdam, 1619).

Caravagesque nordique, Ter Brugghen l'est sans conteste, mais il n'en est pas moins difficile de faire la part de l'œuvre de Caravage dans l'inspiration de Ter Brugghen : on reconnaît quelques emprunts directs dans les sujets (Vocation de saint Matthieu) et la prédilection pour certains personnages, tels qu'un adolescent en chapeau à plume (la série des Musiciens, mais aussi la Vocation de saint Matthieu) ou un ange à demi-vêtu d'une draperie blanche (Annonciation, 1629, Diest ; Libération de saint Pierre, 1629, Schwerin) ; plus subtilement, une certaine manière de faire parler les mains, qui seules trahissent la densité du drame en action (Saint Sébastien soigné par Irène, 1625, Allen Memorial Art Museum, Oberlin), a été exploitée également par les caravagesques français (Vouet, Diseuse de bonne aventure, Ottawa), mais le coloris clair et tendre de Ter Brugghen est d'une exquise et indéniable nouveauté.

Ter Brugghen semble avoir été inspiré bien plus par des suiveurs de Caravage, comme Gentileschi et surtout Saraceni, dont on retrouve souvent chez le peintre d'Utrecht l'aspect cireux des chairs et cette fusion de la couleur et de la lumière aux ineffables raffinements qui constitue le[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : conservateur des Musées nationaux, service d'études et de documentation, département des Peintures, musée du Louvre

Classification

Média

<it>Jeune Femme jouant du luth</it>, H. Ter Brugghen - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Jeune Femme jouant du luth, H. Ter Brugghen

Autres références

  • CARAVAGE (vers 1571-1610)

    • Écrit par et
    • 4 798 mots
    • 7 médias
    ...Valentin et Manfredi, mais subit l'influence de Vouet puis de Reni avant de se fixer à Venise. À Utrecht, un peintre issu du maniérisme, Blomaert, forme Ter Brugghen et Honthorst qui partent pour Rome, le premier en 1604, l'autre en 1610. Ter Brugghen assimile l'art de Manfredi, et celui de Gentileschi...
  • NÉERLANDAISE ET FLAMANDE PEINTURE

    • Écrit par
    • 10 188 mots
    • 18 médias
    ...grands tableaux d'histoire et de genre animés d'imposantes figures, par exemple chez Gerard Honthorst, le plus important du groupe des peintres d'Utrecht. Hendrick ter Brugghen était beaucoup plus doué ; son œuvre n'est pas très vaste, mais sa couleur est pleine de sentiment et ses personnages, quoique très...
  • UTRECHT ÉCOLE D', peinture

    • Écrit par
    • 1 585 mots
    • 4 médias

    Au cours de la première décennie du xviie siècle, les peintres nordiques accomplissent le voyage à Rome, devenu traditionnel pour tous les artistes de l'Europe occidentale désireux d'échapper au provincialisme, c'est-à-dire au maniérisme attardé. Utrecht, ville du sud des Pays-Bas,...