ALLEG HENRI (1921-2013)
Journaliste communiste et militant anticolonialiste, Henri Alleg donna, par son ouvrage La Question, une résonance mondiale aux pratiques de torture des armées françaises en Algérie. Sartre écrivit qu’il fit « triompher l’humanisme des victimes et des colonisés contre les violences déréglées de certains militaires », car son récit avait réuni, selon la formule d’Edgar Morin, « l’expérience du supplicié, la lucidité du témoin, la volonté de l’acteur ».
Issu d’une famille juive aux racines polonaises et russes, Harry Salem naît à Londres le 20 juillet 1921. Ses parents, naturalisés français, tiennent un commerce à Paris, tandis que le lycéen boursier vibre aux épopées révolutionnaires de l’histoire. Bachelier, il s’installe à Alger au printemps de 1940, puis devient surveillant d’internat à Oran. Révoqué en tant que juif, il survit grâce à de petits boulots et milite aux Jeunesses communistes. Après avoir suivi une école clandestine de cadres, « Duval » approuve le Parti communiste algérien (P.C.A.) qui, dans son appel au peuple algérien, indique que ce n’est qu’après la lutte contre l’Axe qu’il « pourra revendiquer hautement le droit de vivre heureux et libre ». Salem ne conteste pas la dénonciation des nationalistes algériens par ses camarades et passe « en aveugle à Sétif » en mai 1945. Il déplorera les massacres, mais écrira que des responsables nationalistes sont tombés dans un piège « par leur représentation irréaliste de la situation et leurs décisions précipitées ». Permanent du P.C.A., il multiplie les articles sous différents pseudonymes, dont celui d’« Alleg », avant de diriger Alger républicain à partir de février 1951. Il en fait le journal de tous les anticolonialistes, tout en regrettant que des nationalistes gardent leurs illusions sur l’aide qu’ils attendaient d’une Amérique championne autoproclamée de l’indépendance des peuples. Il fera plus tard l’apologie de la dictature castriste dans Victorieuse Cuba.
À partir d’avril 1955, Alger républicain imprime qu’il ne « peut pas dire toute la vérité ». Après que vingt-sept de ses correspondants ont dû cesser leur activité et que dix-huit autres ont été interdits de séjour dans leurs régions, le journal est totalement interdit en septembre 1955. Devenu clandestin l’année suivante, Henri Alleg est arrêté en juin 1957 au domicile du mathématicien Maurice Audin – qui mourra sous la torture et dont le corps ne sera jamais retrouvé. Avant de revenir à la prison Barberousse (il avait été condamné à trois mois de prison pour agression envers un policier en 1954), il est torturé pendant un mois au centre de triage d’El-Biar, dans la banlieue d’Alger, par les parachutistes livrant la bataille d’Alger sous les ordres du général Massu. Chargé des pouvoirs de police, celui-ci a demandé à ses officiers d’admettre les pratiques de torture, en leur âme et conscience, « comme nécessaires et moralement valables ». Après avoir pleuré « de haine et d’humiliation », Alleg raconte sa résistance dans La Question. Son livre, paru le 12 février 1958 aux éditions de Minuit, se vend à plus de 60 000 exemplaires avant d’être interdit. Dès le mois d’avril, cosignée d’André Malraux, Roger Martin du Gard, François Mauriac et Jean-Paul Sartre, une adresse solennelle au président de la République proteste contre la saisie et somme les pouvoirs publics « de condamner sans équivoque l’usage de la torture, qui déshonore la cause qu’il prétend servir ».
Inculpé d’« atteinte à la sûreté extérieure de l’État » et de « reconstitution de ligue dissoute », Henri Alleg est condamné en 1960 à dix ans de prison à Alger. Transféré à Rennes, il s’évade et gagne Prague avec l’aide du mouvement communiste. De retour dans l’Algérie indépendante après les accords d’Évian, il y constate l’accaparement de[...]
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Écrit par
- Charles-Louis FOULON : docteur en études politiques et en histoire, ancien délégué-adjoint aux célébrations nationales (ministère de la Culture et de la Communication)
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