BERNARDIN DE SAINT-PIERRE HENRI (1737-1814)
Une œuvre qui recueille dix années d'observation
La formation à l'École royale des ponts et chaussées avait pour principe l'enseignement mutuel et une étroite articulation des cours théoriques avec la pratique, ce dont il faut se souvenir lorsqu'on lit les textes de Bernardin de Saint-Pierre sur l'éducation. L'inventivité était parmi les qualités les plus estimées du directeur de l'École et de ses conseillers, l'architecte Blondel, l'ingénieur hydraulicien Bélidor.
La carrière militaire que Bernardin de Saint-Pierre a commencée à sa sortie de l'École royale des ponts et chaussées constitue le socle informatif de son œuvre d'écrivain. Sa première mission fut le levé de la carte du Rhin. Des engagements intermittents le menèrent ensuite dans les armées de l'Europe du Nord. Revenu en France, il est, en 1768, envoyé en qualité de capitaine ingénieur pour relever les murs de Fort-Dauphin, à Madagascar. L'affectation se révéla, en définitive, être pour l'Isle de France, l'actuelle île Maurice. L'île était alors sous l'autorité du gouverneur Dumas et de l'intendant Poivre, un philanthrope proche des physiocrates (professant une doctrine selon laquelle toute richesse vient de la terre), qui avait entrepris d'acclimater sur l'île les plantes à épices de l'océan Indien. La traversée de Lorient à l'Isle de France, puis le séjour sur l'île furent, pour Bernardin de Saint-Pierre, l'occasion d'intenses activités d'observation maritime et de géographie terrestre. À partir de 1770, Bernardin de Saint-Pierre est de retour à Paris.
En même temps qu'il recherche un poste d'ingénieur sur le territoire, il se met à fréquenter le milieu intellectuel parisien, rencontre les philosophes, se lie d'amitié avec Rousseau. C'est alors qu'il publie, en 1784, sa première grande œuvre, les Études de la nature, qui enregistre la documentation géographique de dix années d'une expérience du paysage repensée à partir de la théologie. Avec les Études, Bernardin de Saint-Pierre part en guerre contre le pessimiste moral et contre des vues qu'il estime être une aliénation de l'homme. Les Études et les Harmonies sont une théodicée où l'auteur inventorie les signes d'une puissance morale accordant les parties de l'univers. À lire l'ensemble des deux œuvres devenues l'occupation d'une vie, on peut se demander si la volonté initiale d'apologétique ne s'est pas muée en exercice de sagesse spirituelle et de contemplation religieuse. En 1788, Bernardin de Saint-Pierre y adjoint Paul et Virginie. Le succès de cette œuvre en sera accru. Ce texte est à rapprocher de L'Arcadie dont la publication fut posthume mais que M. Souriau présente comme la matrice de l'œuvre entière.
Paul et Virginie, comme l'Arcadie, est lié aux textes fondateurs. Ce sont des récits qui réactivent le creuset de la mémoire européenne. Le premier greffe ses personnages sur ceux d'Adam et Ève, du fils prodigue, d'Ulysse, le voyageur de l'impossible retour. Il fait des renvois à l'Exode, au Livre de Ruth. Le second s'articule à l'épopée celtique, aux poèmes ossianiques de James Macpherson (1736-1796). Dans l'histoire de l'île Maurice, Paul et Virginie marque le passage à une intériorisation de l'action. Après l'organisation administrative et l'élan économique impulsé par Mahé de La Bourdonnais, Bernardin de Saint-Pierre est le premier à chanter l'île et à en faire le lieu de sentiments existentiels. Son message, pétri de l'enseignement des Évangiles, de la physiocratie, d'un certain communautarisme emprunté à la pensée du législateur de Sparte Lycurgue, induit l'idée d'une régénérescence. Pour intensifier son propos, l’écrivain[...]
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Écrit par
- Gabriel-Robert THIBAULT : docteur ès lettres, maître de conférences à l'Institut universitaire de formation des maîtres de l'Académie de Rouen
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