CARTIER-BRESSON HENRI (1908-2004)
Malgré sa nature discrète (il aura eu le souci de laisser le moins possible d'images de lui-même), Henri Cartier-Bresson fut et demeurera une figure mythique de la photographie du xxe siècle. Sa longévité lui permit une traversée du siècle dont il témoigne à travers les photographies de ses événements majeurs, pendant près de cinquante ans. Et son talent précoce lui fait réaliser, âgé d'une vingtaine d'années seulement, un grand nombre de chefs-d'œuvre de l'histoire de la photographie.
Henri Cartier-Bresson ne fut jamais un débutant. Équipé du nouvel appareil de poche Leica et d'un simple objectif 50 mm, il adopte dès ses premiers instantanés le style d'une photographie directe qui ne supporte ni la pose, ni la retouche, ni le recadrage, et proscrit le flash, qu'il craint « comme la détonation d'un revolver au milieu d'un concert ».
À Paris, en 1932, Le Pont de l'Europe saisit la course d'un piéton au-dessus d'une flaque d'eau ; derrière lui se découpe la gare Saint-Lazare. L'image est un condensé de l'art sans artifice de Cartier-Bresson : un cliché pris à la sauvette, en cet « instant décisif » qui suspend le mouvement dans une éternité, moment où tout se complexifie du fait d'infinis reflets dans l'eau, d'un jeu surréaliste entre rêve et réalité, et par-dessus tout, de l'expression même, fugitive, de l'élégance et de la légèreté. De cette grâce combinée de l'image et du piéton aérien naît la tentation de voir ici l'autoportrait bien involontaire d'un photographe agile, qui, sans que personne ne le remarque jamais, avait l'habitude de sortir son Leica pour deux ou trois prises furtives et définitives. Faisant corps avec son appareil, qu'il considérait comme un prolongement de son œil, Cartier-Bresson exécutait auprès de ses modèles une manière de chorégraphie évoquant, pour Truman Capote, « une libellule inquiète ».
De la peinture à la photographie
Né en 1908 à Chanteloup (Seine-et-Marne), Henri Cartier-Bresson jouit d'une enfance privilégiée dans une famille de la haute bourgeoisie. À dix-neuf ans il fréquente à Montparnasse l'académie du peintre André Lhote ; la formation qu'il y reçoit lui laisse un goût définitif pour le dessin, auquel il reviendra, comme à un premier amour, dans les dernières décennies de sa vie. Familier des artistes, c'est d'abord au contact de la peinture, remarquera son biographe Pierre Assouline, qu'il apprend la photographie. Cette sensibilité, même, cette « passion pour la peinture » explique sans doute que ses portraits les plus célèbres soient ceux d'amis artistes, Henri Matisse et ses blanches colombes (1944) ou Alberto Giacometti traversant la rue d'Alesia sous la pluie (1961).
Avec son « carnet de croquis », comme il aimait appeler son appareil photo, Cartier-Bresson décide, au début des années 1930, de parcourir la planète ; il ne s'arrêtera plus jusqu'en 1966, date à laquelle il abandonne la photographie. Il commence par découvrir les pays du soleil – Espagne, Italie, Mexique –, dont les contrastes violents et lumineux se prêtent à une atmosphère sensuelle et à des compositions géométriques affirmées. Dans un cadre qu'il sait toujours rendre plus que parfait, il saisit la truculence et la vivacité des ruelles populaires, qui resteront un de ses motifs privilégiés : le regard oblique d'un travesti garçon-coiffeur à Alicante, l'intimité de prostituées acrobates à Barcelone, la course éperdue d'un enfant aveugle le long d'un mur ou la cruauté insouciante de gosses des rues... Au Mexique, il est encore un amateur de liberté, épris de hasards heureux et nourri de surréalisme. La rencontre inspire des photos prises d'instinct, où plane une étrangeté faite de noirs profonds, qu'il abandonnera par la suite au profit de constructions plus[...]
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Écrit par
- Martine RAVACHE : journaliste et iconographe
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