DESROCHE HENRI (1914-1994)
Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Henri Desroche est né à Roanne le 12 avril 1914 dans un milieu modeste. Entré chez les dominicains, il y eut deux maîtres : Chenu et Lebret, le premier pour la pensée, le second pour l'action, à Économie et humanisme. Deux universitaires laïques le marqueront fortement : François Perroux, l'économiste catholique du don et du partage ; Roger Bastide, le sociologue protestant des Amériques noires. Il fonde une revue, Idées et forces — un programme —, participe à la naissance de Masses ouvrières et des prêtres-ouvriers, et se montre attentif à tout ce qui bouge, notamment aux communautés de travail. Celles-ci seront la brèche où il s'engouffrera, avec, pour commencer, Boimondau (Boîtiers de montres du Dauphiné), en 1942, dont le fondateur Marcel Barbu et plusieurs membres seront déportés.
Il partage les deux grandes idées d'Économie et humanisme : la maîtrise du progrès technique, l'économie au service des hommes et de leurs besoins. Avec le père Lebret, il découvrira le Tiers Monde et, seul, dans le sillage des communautés, la tradition du mouvement coopératif. Dès lors, il associera dans son œuvre coopération et développement, avec la conscience forte de ce que leur dynamique doit aux religions, au religieux.
En 1949, en pleine guerre froide, il publie Signification du marxisme, aussitôt dénoncé à Rome. Il est convoqué au Saint-Office et son livre retiré de la vente. Pour lui, c'est la cassure : il ne sera plus désormais qu'un « indépendant ». Pourtant, il n'avait jamais cessé de l'être. On le prenait pour un « philomarxiste » : il n'était qu'un « marxologue », soucieux de connaître et de comprendre la pensée de l'auteur du Capital. Ces débuts sont mal connus ou oubliés. Desroche, lui, se pencha sur son passé au point d'en tirer une revue pour ses amis : Anamnèse. Il avait beaucoup évolué, se détachant de ce qu'il avait été sans l'oublier ni le renier. Deux de ses premiers livres avaient été Paul Claudel, poète de l'amour (1945) et Ô terre enfin libre ! (1946). Il deviendra le sociologue de l'espérance, poète à ses heures, en s'engageant dans trois directions.
La première sera la sociologie des religions, au sein du groupe de ce nom dont il a été en 1954 le véritable initiateur et de la revue créée en 1956 au C.N.R.S., Archives de sociologie (puis Sciences sociales) des religions. La deuxième, qui en était à ses yeux inséparable, sera une sociologie de la coopération et du développement, avec ses effervescences religieuses : parti d'un Bureau d'études coopératives et communautaires, il monta un Collège coopératif, qui fut une pépinière de doctorants et compta vite plusieurs antennes. Il arrivera ainsi, d'utopies en messianismes, à une Université coopérative internationale avec ses quatre saisons, qui avaient pour cadre la France, l'Afrique noire, le Brésil, le Québec. Il fallait voir, dans son « atelier », les thèses et mémoires de ses étudiants qui en tapissaient les murs. De là, son troisième souci : l'éducation postscolaire et la formation permanente de ces gens de tous pays dont la vie restait modeste.
Sa démarche intellectuelle était aux antipodes de tout dogmatisme : sic et non, le pour et le contre, la mémoire et l'imagination. Toute son œuvre le montre fasciné par la créativité de l'esprit religieux et sa capacité d'intervention sociale plus que par ses institutions durables. Il ne fondait pas sa marche sur des certitudes, mais sur des attentes, de « re-souvenirs » en « ré-espérances ». Ce qu'il appelait dans son langage une « anamnèse futurible » le conduisait à penser — ce fut un de ses derniers mots — qu'« il n'est pas possible qu'il n'y ait pas autre chose au-delà ».[...]
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Écrit par
- Émile POULAT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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