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GOUHIER HENRI (1898-1994)

Lorsque Vrin (son principal éditeur) publia La Pensée religieuse de Descartes, Henri Gouhier n'avait que vingt-six ans. Son parcours universitaire fut prestigieux : élève de l'École normale supérieure, pensionnaire de la fondation Thiers, diplômé de l'École pratique des hautes études (sciences religieuses), agrégé de philosophie, docteur ès lettres. Dans l'avant-propos de sa thèse, La Philosophie de Malebranche et son expérience religieuse (1926), il rend un vibrant hommage à son directeur, Gilson ; en 1993, il lui consacrera son ultime ouvrage. Enseignant dans le secondaire, puis dans le supérieur (Lille, Bordeaux, Paris), professeur honoraire à la Sorbonne, membre de l'Académie française, de l'Académie des sciences morales et politiques, de l'Accademia Nazionale dei Lincei, membre associé de l'Académie royale de Belgique, docteur honoris causa des universités de Genève et de Rome, il vit l'ensemble de ses travaux couronné par le grand prix de littérature de l'Académie française, le grand prix littéraire de la Ville de Paris, le prix mondial Cino del Duca.

L'œuvre fascine par l'ampleur et la diversité ; reflet d'une personnalité originale qui alliait l'esprit de géométrie à l'esprit de finesse. Dans les études d'histoire de la philosophie s'élabore une méthode propre, à l'opposé de celle de Guéroult (l'“histoire philosophique de la philosophie”). “Pour une histoire historique de la philosophie” (in Philosophes critiques d'eux-mêmes, Peter Lang, 1978) est le manifeste rétrospectif, la rationalisation d'un parcours, au départ empirique, et qui se caractérise par le refus de définir la philosophie d'une manière univoque : seules existent “des philosophies” à la source duelle, “transformations” de la science, inspiration religieuse.

La relation entre philosophie et religion a été l'une des préoccupations dominantes de Gouhier, qui accordait au concept de religion toute son extension, qu'il s'agisse de la religion naturelle de Rousseau (Les Méditations métaphysiques de J.-J. Rousseau, 1970) ou de la religion de l'humanité de Comte (La Jeunesse d'A. Comte et la formation du positivisme, 3 vol., 1933,1936,1941). À la question célèbre de savoir si une philosophie chrétienne est possible il répondait : “Non, dans une philosophie de la vérité. Oui, dans la philosophie de la réalité”, réalité donnée par la croyance chrétienne (La Philosophie et son histoire, 1944), en étant pleinement conscient de l'ambiguïté de l'expression “donné chrétien” qui peut renvoyer à l'expérience mystique (il n'est plus question de philosophie) ou à l'expérience d'une foi qui peut être foyer de rationalité. Dans Bergson et le Christ des Évangiles (1961), qui a consacré le syntagme “christologie philosophique”, le souci s'affirme, plus que jamais, de “ne pas faire dire aux mots plus qu'ils ne disent dans leur contexte” : Bergson peut interroger le Christ sans sortir de la philosophie, mais il faut distinguer “ce qu'il sait comme philosophe” de “ce qu'il pense comme homme” ; “il y a donc une pensée de Bergson qui déborde sa philosophie” ; “tout ce que peut la philosophie, c'est reconnaître la présence d'un Homme-Dieu : elle ne saurait connaître le paradoxe d'un Dieu-Homme”.

Gouhier a centré sa réflexion sur la philosophie française. Il se situait plus “du côté de chez Bergson” que “du côté de chez Hegel”. Dans l'ouverture du colloque “Ravaisson” (Centre d'études des philosophes français, Sorbonne, 1983), il soulignait l'intérêt de ce positivisme spiritualiste dont Ravaisson avait perçu, de façon prémonitoire, le rôle essentiel : ainsi Bergson sut-il s'opposer au positivisme scientiste et marquer la spécificité de son [...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, agrégée de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris-Sorbonne, U.F.R. de philosophie

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