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LEFEBVRE HENRI (1901-1991)

Associé dès les années vingt à la revue Philosophies, à laquelle contribuèrent N. Guterman, P. Morhangue, G. Politzer et G. Friedmann, Henri Lefebvre s'efforce d'organiser le foisonnement d'idées de ce groupe de jeunes philosophes qui essayaient de se frayer un chemin entre le rationalisme académique d'Alain et de Brunschvicg, d'une part, l'intuitionnisme de Bergson, d'autre part. Publié dans cette revue, l'article « Fragments d'une philosophie de la conscience » (1924) préfigure les thèmes principaux de la pensée de Lefebvre : le rapport entre la pensée conceptuelle et l'action, une analyse des opérations de la langue et de la pensée, les rapports ambigus entre les moments (le jeu et l'art, la fête et le quotidien, la jouissance et la répression, la vie et la mort), le concept du possible, le thème de l'Autre qui anticipe la théorie de l'aliénation. Malgré les divergences et les conflits, les relations de Lefebvre et de ses amis avec les surréalistes (Tzara, Eluard, Breton) feront place à un dialogue fécond développé en particulier à propos de l'idée de la révolution et de la critique du quotidien. La revue Esprit, qui succède à Philosophies, développe la question de la nature et celle du lien entre le corps et la conscience. De la lecture comparée de Spinoza et de Schelling jaillit, toujours dans la revue, un autre thème majeur de la pensée de Lefebvre : la dialectique du conçu et du vécu.

La tension angoissante entre la négation absolue de la réalité existante et l'aspiration à un monde nouveau poussera Lefebvre, et ses amis philosophes et poètes, à rechercher des formes efficaces d'intervention dans la réalité. Adhérant au marxisme et au P.C.F., ils crurent devoir rejeter leurs idées « bourgeoises ». Lefebvre, cependant, tout en acceptant la base de l'interprétation officielle de la pensée de Marx, insistera sur le côté humaniste de l'œuvre de Marx : le problème de l'aliénation, l'idée de l'homme total, le problème de la liberté et de la théorie du dépérissement de l'État. Dans cette lignée s'inscrivent avant tout Le Matérialisme dialectique (1939) et La Conscience mystifiée (1936), qui lui vaudront d'être critiqué aussi bien par les communistes que par les nazis. Le même sort, d'ailleurs, sera réservé à ses recherches sur la « pensée poétique » de Nietzsche. Le Nationalisme contre les nations (1937) et surtout Hitler au pouvoir, bilan de cinq années de fascisme en Allemagne (1938) témoignent de l'engagement de Lefebvre. Son aspiration à intervenir dans une réalité menacée par la montée du fascisme prendra la forme d'une participation active à la Résistance.

L'activité philosophique et sociologique de Lefebvre, après la Libération, sera marquée par un élargissement et un approfondissement progressif de sa pensée, dont l'axe sera le projet d'une conception métaphilosophique. Au lieu de s'attarder à une restructuration du matérialisme dialectique comme Weltanschauung (vision du monde), Lefebvre met en question la philosophie elle-même. La critique des limites essentielles des formes traditionnelles de la pensée n'implique pas l'abolition positiviste et scientiste de la philosophie, mais vise à l'élaboration d'une pensée plus riche et plus complexe, qui, dépassant les bornes disciplinaires, intégrerait des connaissances prises dans divers domaines (sociologie, psychologie, histoire, linguistique, économie, etc.). La pensée métaphilosophique ne veut pas être « discours sur le discours », enfermé sur soi dans sa cohérence totale, mais une « pensée-action », ouverte à des recherches sur les aspects nouveaux du monde contemporain (le quotidien, le rural, l'urbain, le mondial, etc.). Une des sources principales de son inspiration métaphilosophique provient de la pensée poétique[...]

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