MALDINEY HENRI (1912-2013)
C'est en 1973, seulement, que paraît le premier livre d'Henri Maldiney, Regard Parole Espace, la même année qu'un recueil d'hommages, Présent à Henri Maldiney qui, s'ouvrant sur un texte de Francis Ponge, célébrait son « vif et comme torrentiel désir de communication ».
Henri Maldiney est né à Meursault (Bourgogne). Lycéen à Besançon puis à Lyon, élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris, il connaît pendant la Seconde Guerre mondiale l’expérience de la défaite et de la captivité en Allemagne (In media vita, 1988). Secret et reconnu par ses pairs, le philosophe a su, au cours d'une carrière d'enseignant, d'abord à l’Institut des hautes études de Gand puis à l’université de Lyon où il tint la chaire de « Philosophie générale, d'Anthropologie phénoménologique et d'Esthétique », se faire reconnaître comme un maître plus que comme un professeur. Si le philosophe se montre un remarquable lecteur de la tradition (avant tout Platon, Kant, Hegel, Schelling et les phénoménologues – Husserl et Heidegger), comme en témoigne son livre Aîtres de la langue et demeures de la pensée (1975), il n'en est pas moins attentif à la peinture et à la poésie dont Cézanne, Tal Coat, Ponge ou André Du Bouchet sont les principaux représentants, qui inspirent Le legs des choses dans l'œuvre de Francis Ponge, 1974 ; Art et existence, 1985 ; L'art, l'éclair de l'être, 1993 ; Le vouloir dire de Francis Ponge, 1993 ; Aux déserts que l'histoire accable - L’art de Tal Coat, 1995 ; Avènement de l'œuvre, 1997 ; Ouvrir le rien, l’art nu, 2000 ; Existence : crise et création, 2001. En 1991 est paru un gros recueil d'études consacré à l'anthropologie à partir d'une expérience des modes déficients d'exister (Penser l'homme et la folie).
La phénoménologie mise en œuvre par Henri Maldiney, pour être proche de celle inaugurée par Husserl et remaniée par Heidegger, n'en est pas moins profondément originale et témoigne de la fécondité d'une méthode qui se fait le mémorial de la marche vers les « choses mêmes ». C'est à partir d'une épreuve de la réalité que s'origine la réflexion, au plus loin des « pensées de survol » qui n'envisagent ce qui est qu'« à la vitrine » de la représentation. Le chemin qui mène aux choses, et que les œuvres de l'art savent inventer, ne peut être parcouru qu'à travers l'épreuve de leur surgissement. Tableaux ou poèmes, en tant qu'« avènement-événement », « se signifient » avant de signifier des objets donnés du monde. Ils sont formes en formation, « cosmogénétiques », et non signes découpés dans un stock préformé de références repérables. « Le réel, c'est toujours ce qu'on n'attendait pas. Mais quand l'inattendu se produit, on le découvre comme toujours déjà là. » Le « là » de l'œuvre déborde les limites assignées de son « ici ». Voir un tableau, ou un paysage, c'est exister à même les lacunes qu'il a produites au sein d'une réalité familièrement donnée et ignorée. De même, dans la poésie, les « blancs » du poème (ceux que Du Bouchet a su mettre en œuvre) sont comme la trace inaudible que fait la parole lorsqu'elle s'invente à partir du donné de la langue. Le « à dire » n'est pas le possible abstrait que le poème devrait occuper, il est la dimension même en laquelle existe matériellement, corps et âme, le texte. C'est cette ouverture constitutive de tout exister qui fait défaut chez le psychotique. En ce sens la « folie » nous enseigne, sur le mode du pâtir le plus extrême, ce qu'il en est de l'existence « normale ». « La maladie mentale n'est pas une aberration de la nature, mais une forme d'existence en échec ou défaillante, dont les conditions de possibilité et, par là même, le principe d'intelligibilité sont inscrits dans[...]
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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