MENDRAS HENRI (1927-2003)
Sociologue français, Henri Mendras laisse une œuvre foisonnante et volumineuse, fruit d'un esprit humaniste d'une grande ouverture. De la diversité de ses intérêts témoignent les livres publiés dans la collection qu'il a dirigée chez Armand Colin, ceux de la série intitulée « Le Changement social en Europe occidentale », et les contributions rassemblées par ses soins dans des ouvrages collectifs tels que La Sagesse et le désordre (1980), Les Champs de la sociologie française (1988), Six Manières d'être européen (1990).
Cette ouverture d'esprit le conduisait à valoriser tout ce qu'engendre l'aptitude à imaginer scientifiquement. Et de fait, son œuvre se distingue par une grande capacité à chercher et à trouver du neuf, mais aussi à l'expliquer, y compris dans le contexte a priori contradictoire des sociétés traditionnelles que son analyse des Sociétés paysannes (1976) a mis au jour.
L'un de ses derniers ouvrages, Le Sociologue et son terrain (2000), qu'il a codirigé, souligne par ailleurs son attachement à une sociologie empirique, aussi solidement assise sur des données statistiques que soutenue par des études qualitatives de cas. Ne pas se cantonner à un terrain lui apparaissait en contrepartie indispensable. Chaque fois qu'il s'est livré à une étude monographique approfondie, ce fut pour faire comprendre la « théorie de moyenne portée » qu'elle illustrait. Que l'on doive cette dernière notion à Robert Merton, éminent sociologue américain également disparu en 2003, n'est guère étonnant puisqu'en 1953 Mendras traduisit en français son principal ouvrage Éléments de théorie et de méthode sociologique.
Plus fondamentalement, Henri Mendras ambitionnait de mettre en évidence ce qui permet de déjouer les immanquables paradoxes de la réalité sociale. Ce goût du paradoxe pouvait le conduire à être parfois iconoclaste, mais il n'en avait cure comme l'attestent ses Souvenirs d'un vieux mandarin (1995) et d'abord son Voyage au pays de l'utopie rustique (1992). La Fin des paysans (1967) avait choqué certains lecteurs en son temps, mais qui pourrait dire aujourd'hui que Henri Mendras n'avait pas vu juste dans sa thèse. Il fit partie du petit groupe de sociologues qui créèrent à Sciences-po, au début des années 1970, un enseignement totalement différent de ce qui se pratiquait à l'époque en France. Il fut de même à l'origine et au centre du dispositif inédit d'observation du changement social (O.C.S.) mis en place au C.N.R.S., durant les années 1970, sur une soixantaine de sites. Il s'agissait notamment de discerner les raisons de l'autonomie du local dans une France pourtant réputée centralisée – et l'idée de cette recherche lui était venue de ses études comparatives antérieures de plusieurs villages.
La nécessité de la comparaison est, en effet, le motif majeur de la sociologie de Mendras. Comparer les réalités, de village à village, comme de société à société, et bien sûr comparer dans le temps (Le Changement social, 1991) ou comparer les approches, pour faire la part des choses et s'acheminer vers la résolution de la tension entre regards sociologiques, était pour lui consubstantiel à la démarche du sociologue. Considérée sous cet angle, son œuvre apparaît comme un élargissement progressif du champ de la comparaison dont il a su tirer de grandes synthèses – toujours extrêmement riches et suggestives, jamais difficiles ni jargonnantes, aussi bien à propos des sociétés paysannes que de la France contemporaine –, telles que La France que je vois (2002), La Seconde Révolution française, 1965-1984 (1988), ou L'Europe des Européens (1997) – et non des technocrates –, qui le préoccupait de plus en plus vers la fin de sa carrière. Il traita d'identique façon la sociologie elle-même,[...]
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Écrit par
- Michel FORSÉ : directeur de recherche au C.N.R.S.
Classification
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