MICHAUX HENRI (1899-1984)
Humour et poésie
L'originalité de l'art de Michaux, dans ses ouvrages littéraires comme dans ses peintures, tient à la fusion de deux éléments en apparence contradictoires, l'émotion et l'humour. D'un bout à l'autre de son œuvre, il n'y a guère de phrase ou de trait qui n'exprime l'émotion la plus intense. Souffrance, terreur, ou au contraire ferveur, l'émotion se traduit par des images fulgurantes, des cris, des rythmes haletants, des répétitions. Mais l'émotion apparaît rarement à l'état brut, et Michaux, en règle générale, ne la prend pas entièrement au sérieux. Il y a chez lui un refus d'être dupe, un besoin d'observer et de comprendre qui établissent une distance entre lui et ses propres sentiments. Placé dans une situation difficile, il utilise l'humour comme un moyen de prendre du recul et de se protéger. Il ne s'agit pas de rire ou de faire rire, mais de neutraliser l'émotion, soit par un détail ou un tour saugrenu, soit par un flegme apparent. L'exemple d'humour le plus connu et le plus caractéristique de Michaux, c'est le personnage de Plume, à qui il arrive toutes sortes de mésaventures surprenantes sans que cela modifie jamais sa résignation attristée et sans qu'il ose intervenir pour détourner le cours du destin.
Que ce soit dans les récits de voyages réels ou imaginaires, dans les rêves de « vie plastique », où il invente la « mitrailleuse à gifles » ou la « fronde à hommes », dans les réflexions et les aphorismes sur les sujets les plus divers, le ton de Michaux unit presque toujours la gravité et la fantaisie, la tension et la désinvolture.
De toute manière, écrire (ou peindre) n'est jamais pour lui un acte gratuit ou un divertissement, mais une sorte d'épreuve ascétique : « Écrire, écrire : tuer, quoi. » Il crée, dit-il encore, « pour questionner, pour ausculter, pour approcher le problème d'être ». En cela, il incarne la tentation la plus forte de l'art contemporain et se rattache à la tradition des poètes voleurs de feu. Il est l'un de ceux qui ont le mieux pressenti ce que pourrait être une nouvelle culture, intégrant à la pensée occidentale des éléments empruntés à l'Orient, et une nouvelle mesure de l'homme, plus vaste que la nôtre.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Robert BRECHON : agrégé des lettres, ancien directeur de l'Institut français de Lisbonne
- Pierre ROBIN : maître assistant à l'université de Provence
Classification
Autres références
-
AILLEURS, Henri Michaux - Fiche de lecture
- Écrit par Yves LECLAIR
- 786 mots
En 1948, l’écrivain et peintre belge Henri Michaux (1899-1984) publie chez Gallimard un carnet de voyages fictifs intitulé Ailleurs. Ce recueil poétique atypique voit le jour après une longue période de voyages réels, de 1927 à 1936, en Amérique du Sud (Ecuador, 1929), en Europe et en Asie...
-
MISÉRABLE MIRACLE, Henri Michaux - Fiche de lecture
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 206 mots
Publié en 1956 aux éditions du Rocher, Misérable Miracle, sous-titré « La Mescaline », est le premier d'une série d'ouvrages d'Henri Michaux (1899-1984) consacrés aux drogues. Suivront L'Infini turbulent (1957), Connaissances par les gouffres (1961) et Les Grandes Épreuves...
-
ŒUVRES COMPLÈTES, tome I (H. Michaux)
- Écrit par Pierre LOUBIER
- 1 352 mots
Assurément, un an avant le centenaire de sa naissance et quatorze ans après sa mort, ce premier tome des Œuvres complètes de Michaux (édition établie par Raymond Bellour, avec Ysé Tran, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1998) est un événement. Michaux l'insubordonné sur papier bible...
-
L'ESPACE DU DEDANS, Henri Michaux - Fiche de lecture
- Écrit par Pierre VILAR
- 972 mots
Lorsque paraît en 1944 L'Espace du dedans, d'Henri Michaux (1899-1984), le poète et le peintre, d'origine belge, ne sont encore connus que d'un petit nombre. Michaux a publié cependant sept livres chez Gallimard, et un nombre plus important de plaquettes et de petits recueils chez d'autres....
-
BELGIQUE - Lettres françaises
- Écrit par Marc QUAGHEBEUR et Robert VIVIER
- 17 494 mots
- 5 médias
...courants nouveaux ou refoulés des lettres de langue française en Belgique, on se doit en tout cas de rappeler l'exemplaire radicalité du comportement de Michaux. L'auteur de Plume est proche de Franz Hellens, ce grand bourgeois francophone des Flandres qui perçoit très vite les conséquences du processus... -
DROGUE
- Écrit par Alain EHRENBERG , Encyclopædia Universalis , Olivier JUILLIARD et Alain LABROUSSE
- 12 156 mots
- 6 médias
Henri Michaux, usant de la psylocybine, pousse plus loin encore l'expérience et la démonstration : l'aventure (et ce terme rappelle le « voyage » des hippies) est de sentir, voir, percevoir « ce qui se dérobe », à savoir la nature même du penser : « Qu'est-ce donc qui lui apparaissait tout à l'heure... -
FRAGMENT, littérature et musique
- Écrit par Daniel CHARLES et Daniel OSTER
- 9 372 mots
- 2 médias
...C'est bien de cette manière que l'entendent les modernes, qui semblent parfois retrouver le laconisme ou la rigueur catastrophique du fragment antique. Il en va ainsi de l'œuvre de Michaux, chez qui le fragment, « débris sans escorte » (Moments), est toujours la figure de l'abstention, de la... -
HALLUCINOGÈNES, littérature
- Écrit par Jacques JOUET
- 1 054 mots
- 1 média
« Je comparerai », dit Baudelaire dans Du vin et du haschisch (1851), « ces deux moyens artificiels, par lesquels l'homme exaspérant sa personnalité crée, pour ainsi dire, en lui une sorte de divinité. » Pour Baudelaire, à ce moment, la différence entre les deux substances est assez radicale...
- Afficher les 8 références