POUSSEUR HENRI (1929-2009)
Les musiques du monde
En 1981, La Seconde Apothéose de Rameau, pour un ensemble de 21 musiciens, reflète la maestria à laquelle Pousseur est parvenu dans le maniement de l'harmonie et de la périodicité généralisées : on y trouve des matériaux venus de ses œuvres antérieures (notamment de Vue sur les Jardins interdits), mais aussi nombre de références musicales prises tant chez ses amis (Boulez, Stockhausen, Berio, Bartholomée) que chez Debussy, Webern et Stravinski. Dans ces années 1980, son travail de réflexion sur la musique occidentale va déborder sur les « musiques du monde », qu'il va dès lors brasser et interroger afin d'entamer un dialogue transversal lui permettant de réfléchir notamment sur la mondialisation. Dès 1979, il confronte, dans Chevelures du Temps, des bruiteurs à des voix et à des instrumentistes professionnels aussi bien qu'amateurs (« éléments étrangers ad libitum »). Dans Les Îles déchaînées (1980, en collaboration avec son fils Denis), un orchestre symphonique est confronté à un ensemble de synthétiseurs et à une formation de jazz. Dans La Rose des Voix (1982), huit instrumentistes improvisateurs accompagnent quatre récitants, quatre quatuors vocaux, quatre chorales amateurs mélangeant leurs origines culturelles et leurs langues. Pour le compositeur, ce processus permet de s'ouvrir aux émotions que ces musiques venues du monde entier portent ou ont portées. L'écoute de At Moonlight, Dowland's Shadow passes along Ginkaku-Ji, pour trois instruments traditionnels japonais (shakuhachi, shamisen et koto, 1989), révèle que l'appropriation du Japon se fait au niveau de la poétique musicale et non à l'aune de l'exotisme, que l'écriture est bien celle de Pousseur et non pas un placage orientalisant, que l'émotion y est vécue à travers une écriture occidentale singulière mais qui ne renie aucunement ses racines ; restent les « couleurs du Temps » que la sonorité de ces instruments instille en nous. La plus avancée et la plus riche de toutes les œuvres placées sous le signe de l'exploration-intégration de ces univers sonores « d'ailleurs » est sans conteste Seize Paysages planétaires, musique ethno-électroacoustique (2000), comme en témoignent les titres de quelques-uns de ces « paysages » : Gamelang celtibère, Caraïbes ouralocéaniennes, Andes afro-nippones, Alaskamazonie ou Vietnamibie. Soulignons une fois encore que, dans toutes ces pièces, l'intégration stylistique est contrôlée par une méthode compositionnelle visant à conceptualiser sériellement les possibilités harmoniques en soumettant les sons, les bruits et les échelles (jusqu'à l'univers des micro-intervalles) à une organisation rigoureuse, l'objectif de Pousseur étant de créer un continuum harmonique et d'intervalles cohérent où la mobilité et l'aléatoire servent alors d'articulations.
Sur la demande de Maurice Fleuret (alors directeur de la musique et de la danse au ministère de la Culture) Henri Pousseur et Éric Sprogis mettent sur pied, entre 1984 et 1987, l'Institut de pédagogie musicale du Parc de la Villette, à Paris, qui donnera naissance à la Cité de la musique. En 1988, Figure et ombres, œuvre pédagogique imposée à tous les instrumentistes se présentant cette année-là aux concours du Conservatoire de Liège, est pensée « pour n'importe quel instrument », autre versant de la réflexion de Pousseur sur l'Histoire – ici, le Moyen Âge et sa pratique musicale caractérisée par l'improvisation et la non-personnalisation sonore. Elle connaîtra de nombreuses « œuvres satellites » – Vingt-six Ombres d'une même Figure (1989) et Ombres enlacées, pour orgue manualiter (1999) – et servira de thème à Dépli et configuration de l'Ombre, pour arpeggione solo (2007).
Dichterliebesreigentraum, pour[...]
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Écrit par
- Alain FÉRON : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio
Classification
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