REGNAULT HENRI (1843-1871)
La mort héroïque d'Henri Regnault, engagé volontaire lors de la guerre de 1870, a donné au peintre une gloire de légende. Il y a en effet, dans cette courte destinée, bien des aspects qui rappellent Géricault, et l'on peut imaginer la place que Regnault aurait pu tenir dans l'art français s'il avait vécu plus longtemps...
Fils du chimiste Victor Regnault, il est prix de Rome en 1866 avec Thétis apportant à Achille les armes forgées par Vulcain (École nationale des beaux-arts, Paris), qui ne rappelle rien des leçons de son maître Lamothe, honorable mais assez pâle élève d'Ingres. L'étrangeté des couleurs et de l'iconographie ont une modernité acide. En Italie, il choisit d'emblée ses maîtres : Michel-Ange plus que Raphaël, les Vénitiens et les Napolitains plus que les Romains, à l'exception de Pierre de Cortone. Son Automédon ramenant les coursiers d'Achille, envoi de Rome de 1868 (musée de Boston, esquisse au musée d'Orsay, Paris), est un hommage personnel à Gros, à Géricault et à Delacroix, dont il retrouve la nervosité du dessin, l'énergie de la conception et le lyrisme coloré.
Les séjours de Regnault en Espagne sont décisifs. Il étudie Velázquez, dont il fait une copie des Lances, qui est dans le genre un chef-d'œuvre (École des beaux-arts), y subit, peut-être trop, l'influence du peintre Fortuny et de sa « cuisine » colorée ; enfin, il y trouve de nouveaux sujets. Le Portrait équestre de Prim (1869, musée d'Orsay), que le général dictateur aurait préféré plus conformiste, est sans doute sa plus belle réussite. Trop évoquer, à son sujet, Rubens et Goya risque d'éluder la véritable originalité de Regnault, qui réside dans l'audace du format, le pathos de la vue di sotto, la stridence des couleurs ; mais surtout l'âcreté du sentiment est la marque, baudelairienne, de la modernité chez ce peintre trop savant et trop bien inscrit dans une famille picturale, celle des coloristes.
On peut s'interroger sur le développement que cette œuvre aurait pu avoir, car les dernières toiles de Regnault sont un peu inquiétantes. L'Exécution sans jugement sous les rois maures de Grenade (1870, musée d'Orsay), la Salomé, exposée au même Salon, cherchent systématiquement des rapports étranges de couleurs : « De la peinture de fils de chimiste », disaient ses ennemis. Il manque trop à ces œuvres la qualité d'émotion et de sincérité devant le motif qui, précisément, lie Manet à Velázquez, pour qu'on ne sente pas que Regnault n'avait pas encore trouvé sa maturité.
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Écrit par
- Bruno FOUCART : professeur à l'université de Paris-Sorbonne
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