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IBSEN HENRIK (1828-1906)

Les œuvres fondamentales

Ibsen se fixe d'abord à Rome : l'influence des pays méridionaux le libère, tandis que la distance lui permet de juger de ses préoccupations passées avec plus de recul. En même temps se dégagent de la diversité de ses essais quelques lignes de force qui vont désormais sous-tendre toute l'œuvre. À Saint-Pierre, en 1864, il connaît une sorte de révélation : il découvre « sous une forme puissante et claire ce qu'il a à dire » ; l'idée de Brand est née, en vérité, si l'on s'en tient aux seuls thèmes, il ne fera jamais que réécrire cette pièce sous toutes les formes possibles. Parallèlement, il prend conscience de sa mission : il doit décrire pour guider son peuple, le tirer de sa torpeur, lui donner le goût de sa grandeur. Brand (1866), qui fut d'abord un poème épique et dont l'auteur a pu dire : « C'est moi-même dans mes meilleurs moments », est le premier chef-d'œuvre d'Ibsen. Pièce confuse et contradictoire où apparaît nettement cette fascination des extrêmes inverses qui dénote l'influence de Hegel et qui confère au théâtre ibsénien cette ambiguïté que tant de critiques n'ont pas su comprendre. Catilina, déjà, voulait peindre, selon son auteur, « la contradiction entre ce que l'on désire et ce qui est possible, ce qui est en même temps la tragédie et la comédie de l'humanité et de l'individu ». Sous un puissant symbolisme naturel, dans une forme impeccable, en vers d'une belle maîtrise, les grandes voix tonnent : mépris de la lâcheté, de « l'esprit veule » dont l'auteur accuse ses compatriotes, idéal sans compromission de la vocation à laquelle il faut tout sacrifier, de la personnalité qui doit pouvoir s'exprimer sans entraves. Ce qui suppose un individualisme forcené (« Place, sur la terre entière, pour être pleinement soi »), un idéalisme absolu qui résume la célèbre formule du « Tout ou rien » (« L'esprit de compromis, c'est Satan ») ; et donc de la volonté (« C'est de vouloir qu'il s'agit », « Il est vain d'aider un homme qui ne veut rien que ce qu'il peut »). Il faut tout sacrifier à la vocation personnelle, et Brand immole sa femme et son fils. Toutefois, on prendra garde de ne pas s'aveugler sur cette inhumaine rigidité : l'idéal de Brand est une « église de glace », et la pièce prend soin d'opposer à Brand sa femme, Agnès, toute d'amour et de tendresse. La dernière réplique : « Dieu est charité » laisse la porte ouverte à une interprétation encore plus nuancée. Trop de rigueur morale revient à trop de faiblesse : « Toute construction tombera, qui veut monter jusqu'aux étoiles. » N'importe ! L'œuvre est d'une sauvage grandeur épique, envoûtante de dépouillement et de tension, et son éclatante réussite prouve que les Norvégiens entendirent la leçon.

Cependant, Ibsen qui vient de recevoir une pension revient à la charge, comme s'il craignait d'avoir été mal compris, en proposant, cette fois, en 1867, une sorte d'épreuve négative de Brand : c'est Peer Gynt, poète hâbleur, vaurien presque irresponsable qui fuit devant le devoir, le vouloir et la réalité. Le Grand Courbe lui a appris à « faire le tour » au lieu de se colleter à la vie ; menteur, lâche, rêveur, incapable, égoïste, ni son charme, ni sa fantaisie que pimentent d'innombrables allusions au folklore norvégien ne le sauveraient du néant s'il n'était racheté par le profond, le délicat amour que lui a gardé la douce Solveig. Ibsen a donc repris cette exigence impérieuse de personnalité que revendiquait Brand ; et, au passage, il ne craint pas d'éreinter le romantisme nationaliste (les scènes chez le vieux de Dovre) ; mais, sous sa forme shakespearienne, la pièce, toute en nuances, alla beaucoup plus[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Henrik Ibsen - crédits : Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

Henrik Ibsen

Katharina Schüttler dans <it>Hedda Gabler</it>, H. Ibsen - crédits : A. Declair/ Die Schaubühne, Berlin

Katharina Schüttler dans Hedda Gabler, H. Ibsen

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