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CORBIN HENRY (1903-1978)

Philosophe, germaniste, iranologue, arabisant, Henry Corbin mena l'existence remplie d'un chercheur laborieux, d'un découvreur et d'un penseur aussi inspiré qu'érudit. Bibliothécaire jusqu'en 1939 à la Bibliothèque nationale, il traduit des œuvres du philosophe iranien du xiie siècle Sohravardi, mais se fait surtout connaître par la traduction de Martin Heidegger, alors inconnu en France (Qu'est-ce que la métaphysique ?, 1938). Dès 1934, il avait reconnu le génial apport de l'existentialisme heideggérien, qui le fascinait par sa rupture avec le rationalisme universitaire et avec les philosophies de l'histoire. Envoyé par Julien Cain à Istanbul, il commence alors son aventure orientale, accompagné de son épouse, Stella Corbin.

Dès la fin de la guerre, il va partager sa vie entre l'Orient (à l'Institut d'iranologie, aux universités de Mecched et de Téhéran) et l'Occident (où il reprend la chaire de Louis Massignon à l'École pratique des hautes études). À partir de 1950 et jusqu'à 1977, il participe aux réunions annuelles d'Éranos. Par ses cours, ses conférences, par les publications de la Bibliothèque iranienne, il fait connaître tant à l'Orient qu'à l'Occident les richesses insoupçonnées de la gnose ismaélienne et des écoles philosophiques de l'Iran shī‘ite. Tout était à faire en ce domaine : établir les textes, les éditer, les traduire, les présenter. Lui seul pouvait écrire une Histoire de la philosophie islamique complète. Grâce à lui, trois philosophes entrent dans le panthéon universel de la pensée : Sohravardi, le grand platonicien de Perse (L'Archange empourpré, 1976), Ibn ‘Arabi, maître du soufisme (L'Imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn ‘Arabi, 1958 ; 2e éd. 1977), et Mollā Sādrā Shīrāzī (par l'admirable édition, avec traduction et commentaire, du Livre des pénétrations métaphysiques, 1964). Toute l'« œuvre » d'Henry Corbin, c'est-à-dire à la fois ses écrits et son action, culmine en deux sommets jumeaux : la grande somme de En Islam iranien (t. I et II, 1971 ; t. III et IV, 1973) ; la fondation de l'université Saint-Jean de Jérusalem en 1974 avec ses sessions annuelles, d'abord à Cambrai, puis à Paris, et ses Cahiers publiés chez Berg international.

Les grands axes de l'œuvre d'Henry Corbin, c'est d'abord le refus de toute philosophie de l'histoire, de toute idéologie : la foi des « religions du Livre », juive, chrétienne islamique, est la foi intérieure, qui est orientée avant tout par le Futurum resurrectionis, par la fin des temps ; celle-ci n'est pas une catastrophe finale dans l'histoire, mais plutôt un événement de l'âme dans la hiéro-histoire ou histoire sacrée, non historique, ou métahistorique, dans l'histoire comme lieu de la simultanéité du cœur embrasé et du buisson ardent que celui-là reconnaît comme son Dieu. La forte marque eschatologique et spirituelle des philosophes de l'Iran islamisé permit à Henry Corbin de redonner sens et vie à sa propre foi chrétienne. Et c'est pourquoi il attacha du prix à la théologie dialectique du jeune Karl Barth et au Sein und Zeit de Heidegger. Dans Terre céleste et corps de résurrection (1960), il suit pas à pas ce thème dans toute la pensée qui part de l'iran mazdéen pour aboutir à l'Iran shī‘ite.

L'idée de la résurrection en appelle une autre, complémentaire, celle du monde visionnaire : car si la résurrection a lieu en nous, au sein d'une expérience qui est fin de l'histoire, ce ne peut être que sous une forme exceptionnelle, celle de la vision mystique, trop souvent refoulée en Occident, mais richement déployée dans l'Islam. Depuis son grand livre sur Avicenne et le récit visionnaire (1954, t.[...]

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