MONTHERLANT HENRY DE (1895-1972)
Pendant cinquante ans de vie littéraire, Montherlant a pris au mot tout ce qu'il sentait, convoitait, sans jamais perdre de vue l'idée de la mort. Ce ne sont pas seulement les êtres qui meurent, c'est la terre qui roule dans le vide. Dès lors, la vie des personnages de Montherlant sera un naufrage accepté lentement et plein du court étonnement de naître et de vivre.
Montherlant est le grand styliste du xxe siècle. Son ton n'appartient qu'à lui. Il sait aussi bien manier la longue phrase que communiquer en traits rapides son insolence, ou donner un profond mouvement à sa prose pour laisser fondre un cœur qui se reprend aisément, car il y a toujours une partie de lui qui juge l'auteur – ce dont témoignent assez les magnifiques Carnets.
Les masques de Montherlant
Henry de Montherlant est né à Paris le 20 avril 1895. Fortune et titres étaient la hantise de la famille. Dès lors qu'il épousait la fille du comte de Riancey, directeur du journal L'Union, organe du comte de Chambord, Charles Millon, le père de Montherlant, devait faire savoir qu'il était comte. On était en République, sa famille n'eut donc aucune peine à le faire admettre le jour de ses noces. Cette imposture tourna Henry de Montherlant vers le merveilleux. Il passa une partie de sa jeunesse à lire Saint-Simon, à puiser dans Plutarque et l'Antiquité les leçons d'énergie qui caractérisent le noble, tout en se disant que la vraie noblesse crée son propre courage, et qu'il tiendrait sa fierté de ses livres seuls.
De dix à treize ans, s'inspirant de Quo Vadis, Montherlant écrivit de cinq à six heures par jour. À ces récits, il préféra bientôt des œuvres personnelles : poèmes, ébauches théâtrales.
Renvoyé du collège Sainte-Croix pour pédérastie en mars 1913, Montherlant va commencer à dix-huit ans un récit où il va essayer d'expliquer l'affaire de mœurs à sa façon, de dégager cette partie de lui-même qui lui permettra de revivre son adolescence au collège. De ce récit, véritable « for intérieur », Montherlant tirera deux œuvres : La Ville dont le prince est un enfant (1951) et, cinquante-six ans après la sanction qui le frappa, Les Garçons (1969). La poésie, la purification des passions par l'écriture, un désir porté à l'infini donnent à ces deux œuvres une grande puissance de rayonnement.
À la fin des Garçons, lorsqu'il évoque l'abbé de Pradts, en qui il a mis beaucoup de lui-même, Montherlant laisse entendre qu'il eût pu devenir un prêtre sans la foi. La guerre de 1914 le détourna de ce projet. Réformé en 1915, puis requis en août 1917, Montherlant, soldat auxiliaire, sera blessé au cours d'un exercice de tir loin des lignes. Qu'importe, le poste de secrétaire général de l'ossuaire de Douaumont, œuvre qu'il fonde en 1920, le rend vaillant entre tous.
Dans son premier livre, La Relève du matin (1920), Montherlant fait don aux plus jeunes de tout ce qu'il a appris au collège avant la mobilisation et la guerre, qui a tué les meilleurs. Ou brûlant, ou glacé, il faut que soit présent le flot de la sensibilité catholique, de peur que la mémoire ne meure. Le Songe, roman publié en 1922, est une transposition de la guerre imprégnée de L'Iliade. L'existence des soldats de 1914-1918 est haussée au rang des héros mémorables. Description conventionnelle, certes, mais convention vivace qui rendra Montherlant très nationaliste, et capable de se mobiliser de lui-même en 1938 et en 1940. Des livres comme Mors et Vita (1932), L'Équinoxe de septembre (1938) prédiront que la paix est illusion et que l'Europe va se prêter à une nouvelle folie. (Mais parallèlement, avec Service inutile (1935), Montherlant n'en fera pas moins apparaître le monde comme une suite de conflits d'images ou d'idées qui ne méritent pas qu'on meure pour eux.)[...]
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Écrit par
- Pierre SIPRIOT : journaliste, écrivain.
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Média
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