FIELDING HENRY (1707-1754)
Panorama de l'œuvre
Les quatre titres qu'on vient de citer résument l'essentiel du génie de Fielding, dont l'invention romanesque est la seule qui ait résisté à l'épreuve du temps. Il a pourtant beaucoup écrit. Il reste de ses griffonnages tout un faisceau d'œuvres en prose et en vers réunies, en 1743, dans les trois volumes des Miscellanies : poèmes sans grande originalité ; essais, fragments de dialogues. Le Journal d'un voyage à Lisbonne (Journal of a Voyage to Lisbon, 1755), paru un an après sa mort, est d'une autre facture. La souffrance d'un homme condamné trop tôt s'y lit entre les lignes. Quant à ses comédies, elles sont écrites dans le style de la Restauration et imitées, pour la plupart, du français ou de l'espagnol : Mock Doctor, Don Quixote in England. Les années ont éventé le théâtre de Fielding : il contient trop d'allusions à une actualité qui ne nous parle plus. Mais on ne fréquente pas sans profit l'école de Molière et de Cervantès. Le théâtre a servi de laboratoire au dialoguiste, à l'observateur des coutumes et des mœurs qui s'est illustré dans le roman.
À ce genre capital, Fielding est venu assez tard, par la voie détournée du pastiche. Pamela (Pamela, or Virtue Rewarded, 1740) de Samuel Richardson l'avait exaspéré. À ce modèle de vertu féminine non dépourvue de calcul, il s'est avisé d'opposer, en la personne de son frère Joseph, un modèle de chasteté masculine. Pamela résiste aux avances de son patron le squire B... (auquel Fielding prête le nom de Booby, synonyme de nigaud). Joseph résiste à celles de sa patronne, lady Booby, propre tante du squire, en alléguant sa pudeur et son désir de rester vierge jusqu'au mariage. L'effet comique tient à l'inégalité des critères applicables à la moralité des deux sexes. Or Joseph Andrews est le type même de la farce qui se retourne contre son auteur. Dès le chapitre xi du livre I, le héros apparent de l'histoire, valet de pied congédié pour cause de vertu, cède la place au héros réel, pasteur de village qui allie une culture humaniste à une méconnaissance totale des réalités. Le pasteur Adams est de ces êtres ridicules qui finissent non seulement par toucher, mais par gagner le respect. Avec lui la parodie acquiert une dimension artistique, une chaleur humaine. Les citadelles qu'il défend sont morales, les moulins qu'il pourfend appartiennent au monde de l'esprit. Le pasteur Adams est un don Quichotte en soutane.
Jonathan Wild n'a point bénéficié du même miracle de transfiguration. C'est une sorte d'éloge à rebours du crime, un peu laborieux, dans la ligne érasmique. Maître chanteur, receleur, informateur, assassin, Jonathan Wild est traité en héros. L'ouvrage monte en épingle le vice, traîne l'innocence dans la boue, procédé d'écrivain et dont on se lasse. Certes, le décor reflète l'intérêt professionnel que Fielding portait au crime. Mais les personnages n'ont pas de relief et les traits vivants sont rares. Citons le dernier geste de Jonathan, lorsqu'on le conduit au gibet : il dérobe, dans la poche du chapelain, un tire-bouchon « qu'il emportera avec lui dans l'éternité ».
L'œuvre suivante, Tom Jones, est la seule qui soit, grâce au cinéma, connue en France du grand public. C'est aussi le plus achevé des romans de Fielding. Il raconte les aventures et les mésaventures d'un enfant trouvé, élevé par le riche Mr. Alworthy. Il s'entend mal avec ses deux maîtres, Thwackum et Square, qui sont des cuistres de la pire espèce. Le neveu d'Alworthy, Blifil, le jalouse. Jeune homme, il s'énamoure de la ravissante Sophia Western, fille d'un hobereau autoritaire et coléreux qui s'oppose au mariage. Les intrigues de Blifil achèvent de brouiller Tom avec le milieu qui l'a recueilli. Une brèche[...]
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Écrit par
- Alexandre MAUROCORDATO : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Nantes
Classification
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