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FIELDING HENRY (1707-1754)

Portrait littéraire

Il est d'usage de tracer un parallèle entre Fielding et Smollett, de rapprocher l'un de Thackeray, l'autre de Dickens ; de peser sur une balance, au scrupule près, les mérites de chacun, de se demander si le réalisme un peu cru de celui-là compense la sentimentalité un peu trop appuyée de celui-ci, s'il faut préférer la vigueur aux nuances, le périple britannique d'Humphrey Clinker aux itinéraires plus abstraits de Joseph Andrews ou de Tom Jones.

On soulignerait avec peu de profit que Fielding est un classique aux deux sens du terme. Il connaît bien la littérature antique ; il s'est frotté aux critiques français qui, au xviie siècle, ont rendu la doctrine aristotélicienne assimilable à l'honnête homme. Au livre III de Joseph Andrews, par le truchement du pasteur Adams, il fait une analyse très subtile de L'Iliade, à laquelle il applique la fameuse grille de Le Bossu, auteur d'un Traité du poème épique (1672) qui a constitué pendant plus d'un siècle le bréviaire du critique orthodoxe. Rien d'étonnant qu'au seuil de Joseph Andrews il ait éprouvé le besoin de rattacher ce roman hybride aux catégories aristotéliciennes et de le qualifier d'épopée comique en prose. Il n'est pas moins naturel que ses paysages et ses descriptions aient presque toujours un caractère général. Fielding eût volontiers souscrit à la défense que fait Imlac au poète, dans le Rasselas du docteur Johnson (1759), de compter les raies de la tulipe.

La satire constitue une autre constante de son génie. Il voit dans le ridicule le principal ressort de ses romans. Or le ridicule revient, selon lui, à percevoir le décalage entre l'artifice et la nature, entre ce que les gens affectent d'être et ce qu'ils sont en réalité. L'indignation que lui causent les simagrées et les faux-fuyants de ses semblables inspirent à Fielding des remarques ironiques ou amères, qu'on a parfois taxées de cynisme. « Assassiner sa propre réputation », dit Thwackum, « est une sorte de suicide, un vice odieux et ridicule. » On dirait le négatif du onzième commandement victorien : « Prendre sur le fait ne te laisseras. » « On est toujours puni pour ses fautes », dit un autre personnage : « or les gens de qualité ne sont jamais punis ; les gens de qualité sont donc irréprochables ».

Mais le sens de la relativité des valeurs sociales par rapport aux valeurs morales s'exprime souvent avec une générosité et un esprit de tolérance qui font honneur à Fielding. La naïveté de certains de ses personnages est là pour faire ressortir, sans trop de méchanceté, les menues bassesses, les petites vilenies des hommes.

Nous touchons au troisième aspect du génie de Fielding : cette vitalité qu'il a su communiquer à toutes les créatures, fussent-elles épisodiques, dont il a peuplé ses romans picaresques. Avec quel humour il nous introduit dans l'intimité du pasteur Trulliber, qui a si bien domestiqué sa femme ; ou nous fait assister aux prises de bec entre le squire Western, partisan des Stuarts, et sa sœur, ralliée aux Hanovres. Tout l'éventail du comique se déploie dans son œuvre, de la farce la plus grossière aux effets les plus subtils. Comment oublier l'indignation de Partridge quand le sergent l'accuse d'un non sequitur : « Vous en êtes un autre ! », ou le jargon moliéresque qu'emploie le chirurgien au chevet de Joseph blessé, pour en imposer aux gens présents, ou la profession de foi libérale de Thwackum : « Quand je dis religion, j'entends la religion chrétienne et non seulement la religion chrétienne, mais la religion protestante ; et non seulement la religion protestante mais l'Église d'Angleterre. »

Devant ces qualités, les reproches qu'on pourrait faire à l'homme et à l'œuvre ont peu de poids. Les défauts de[...]

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