MENCKEN HENRY LOUIS (1880-1956)
L'écrivain germano-américain Henry Louis Mencken vécut toute son existence à Baltimore, où il se tailla rapidement une réputation d'humoriste iconoclaste grâce à ses articles des Sunpapers entre 1906 et 1948. Il dirigea également deux mensuels : The Smart Set (1914-1923, avec George Jean Nathan) et The American Mercury (1924-1933), qui contribuèrent à créer aux États-Unis une atmosphère littéraire et culturelle originale. Ennemi du provincialisme et admirateur des écrivains européens modernes, dont Nietzsche, Shaw et Conrad, Mencken s'est efforcé de lutter contre les stéréotypes sentimentaux en encourageant la jeune littérature réaliste et naturaliste et en se faisant le champion de Theodore Dreiser et de Sinclair Lewis.
Sa critique impressionniste, disséminée dans d'innombrables articles et essais intensément personnels et provocateurs, repose moins sur une théorie que sur un goût limité, mais sûr. Ce goût exprime une individualité tranchée, un désir de briller à tout prix, de choquer les médiocres et les bien-pensants, et d'imposer par le rire un agnosticisme scientiste hérité de Thomas Henry Huxley, aux dépens de la religion traditionnelle et des banalités réconfortantes. Les bouffonneries et les sarcasmes de Mencken s'en prennent au moralisme puritain, aux conventions puériles et au charlatanisme de toute nature.
Les six volumes de Prejudices (1919-1927) rassemblent ses essais de journaliste et proposent à une Amérique encore provinciale des modèles étrangers, en même temps qu'ils l'encouragent à s'explorer elle-même et à critiquer sa propre insuffisance culturelle. Les cibles favorites de Mencken sont ce qu'il nomme l'Americano, ou Boobus Americanus, autrement dit le citoyen crédule, patriote, sectaire, prétentieux, gauche et borné ; et encore le clergé hypocrite, le nivellement démocratique, la médiocrité provinciale. D'une caricature féroce des États-Unis, l'écrivain excepte une prétendue « minorité civilisée », tolérante et cultivée. Par germanophilie et anglophobie, il s'est élevé contre Woodrow Wilson et F. D. Roosevelt et a été le champion véhément du conservatisme isolationniste. Son dynamisme, sa personnalité tranchée, la verve de son style lui ont assuré un public important entre 1920 et 1930, décennie à laquelle on l'associe souvent. Ses Mémoires (The Days of H. L. Mencken, 3 vol., 1940-1943) évoquent avec nostalgie le Baltimore de la fin du xixe siècle et sa vie de reporter jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
C'est le journalisme qui fait la force et la faiblesse de Mencken : il dispose d'une copieuse information, il est ouvert à une grande variété de sujets ; mais il émet aussi des jugements trop rapides, se livre à des paradoxes et à des boutades faciles. C'est un homme de fragments brillants et le porte-parole d'une droite éclairée plus éprise de tradition que d'argent. Il restera surtout l'auteur de la première grande étude sur ce qu'il nommait, par anglophobie, la « langue américaine ». The American Language (quatre éditions de 1919 à 1936, avec deux suppléments en 1945 et 1948) est l'œuvre monumentale d'un philologue amateur, mais inspiré et infatigable, remarquablement renseigné sur la langue populaire de son pays. Il y soutient la thèse que l'américain est plus expressif et créateur que l'anglais britannique, et qu'il finira par le supplanter. Cette somme polémique et brillamment écrite est le chef-d'œuvre de Mencken et son principal titre à la renommée posthume.
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Écrit par
- Guy Jean FORGUE : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur d'américain à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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