POULAILLE HENRY (1896-1980)
Fils d'un charpentier militant syndicaliste et d'une canneuse de chaises, Henry Poulaille occupe une place très particulière dans le monde des lettres françaises : celle de l'écrivain prolétarien, au même titre qu'un Tristan Rémy, un Marc Bernard ou un Louis Guilloux. Mais ce sont les conditions mêmes de la vie ouvrière qui décident de son existence et de sa carrière : orphelin à quatorze ans (son père meurt des suites d'un accident de travail et sa mère, la même année, de tuberculose), il poursuit, tout en travaillant comme garçon de courses chez un pharmacien, ses lectures d'autodidacte libertaire. Antimilitariste actif durant la Première Guerre mondiale, il travaille comme manœuvre puis comme homme de corvée avant d'entrer chez Grasset comme secrétaire (1923). Il collabore alors au journal montmartrois La Vache enragée, où ses articles sur Charles Vildrac, Jean-Richard Bloch, Marcel Martinet attirent l'attention de ce dernier qui l'invite à publier des contes dans L'Humanité (recueillis dans Âmes neuves, son premier livre, en 1925). Il devient ensuite responsable de la page littéraire du journal de la C.G.T., Le Peuple, et publie des chroniques dans Paris-Soir.
Le nom de Poulaille est intimement lié, à partir de cette époque, à l'élaboration de la doctrine de la littérature prolétarienne, dont les principaux thèmes seront repris dans son livre-manifeste : Nouvel Âge littéraire (1930). Issu du peuple, l'écrivain prolétarien exerce un don ou une mission, mais ne considère pas la littérature comme un métier. Il tente de concilier deux projets peut-être inconciliables : un humanisme traditionnel fondé sur l'authenticité et une volonté d'exprimer les aspirations irréductibles du prolétariat. Lors de la création, en 1929, du mouvement populiste (Léon Lemonnier et André Thérive), qui entendait s'opposer à l'« esthétisme immoraliste » à la mode en faisant du peuple un objet littéraire de choix, Poulaille précise sa position : la littérature prolétarienne doit être une littérature de classe mais non un « art social ». Condamné lors du Congrès des écrivains prolétariens de Kharkov (1930) par les communistes, qui proposent un « art de parti », Poulaille ne cessera de lutter contre le dogmatisme en art, pour une littérature apolitique : « La vie du prolétariat racontée par des auteurs qui sortent de ses rangs : voilà la littérature prolétarienne. » Ou encore : « S'il y a un art pour le peuple, c'est l'art humain. »
L'action militante de Poulaille dans les nombreuses revues qu'il fonde : Nouvel Âge (1931), Prolétariat (1933), À Contre-courant (1935), Maintenant (1945-1948), dans sa défense et illustration d'écrivains tels que Ramuz, Neel Doff ou Knut Hamsun, au Musée du soir, cercle culturel ouvert aux ouvriers et employés. À partir de 1940, tout en poursuivant son œuvre personnelle, il publie des travaux et anthologies consacrés à la culture populaire ancienne : entre autres, Noëls anciens du XIIe au XVIe siècle, Les Chansons de toile du XIIe siècle.
L'œuvre maîtresse de Poulaille reste la quadrilogie, en partie autobiographique, qui narre la vie quotidienne, entre 1903 et 1920, de la famille Magneux : Le Pain quotidien (1931), Les Damnés de la terre (1935), Pain de soldat (1937), Les Rescapés (1938). Œuvre unanimiste, ambitieuse, qui mêle aux faits et gestes de la vie ouvrière — recherche du travail, du logement, action syndicale, grèves — l'histoire des luttes sociales et politiques en France et en Europe. C'est aussi la langue du peuple, ses lectures (Poulaille fait appel à la technique alors nouvelle du collage), ses conflits et débats internes qui sont restitués. Henry Poulaille peut être considéré comme un des meilleurs représentants (avec Guilloux et Navel) de la voix populaire dans la [...]
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Écrit par
- Daniel OSTER : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, écrivain
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