HÉRACLITE (VIe-Ve s. av. J.-C.)
Divine justice
Il n'est pas question de projeter dans ce schéma l'opposition de l'esprit et de la matière, et encore moins l'opposition cartésienne de l'étendue et de la pensée. Ce Feu auquel se substitue une âme dans certaines formules (DK 36 et 77) est un Feu pensant. Les mêmes formules contiendraient donc des délinéaments d'une ascétique et d'une épistémologie. Pour une âme, se maintenir sèche et disponible à l'incandescence, cela se fait à prix de corps et de semence, de même que la satisfaction du désir s'obtient « à prix d'âme » (DK 85). Cela se fait aussi en pensant. Le même schéma devient donc épistémologique par échange de mots, ainsi :
Feu équivalant à Âme équivalant à Sens Eau équivalant à Semence équivalant à Parole Terre équivalant à Corps équivalant à Œuvre.
L'art de maintenir l'équilibre entre les éléments « en guerre », en empêchant l'un d'empiéter sur les autres, porte le nom de Diké = la Justice. Elle règne dans les affaires cosmiques comme dans les affaires humaines. Même le Soleil ne franchira pas les mesures à lui assignées par la Justice (DK 94). La même Justice désignerait dans d'autres formules, ou dans les mêmes, un art d'équilibrer castes ou partis dans la cité. Car « toutes les lois humaines tirent leur nourriture de la Loi unique et divine » (DK 114). La vie perpétuellement menacée de la cité consisterait donc à réajuster des rivalités : de là, sans doute, l'institution du tribunal. Elle pose à l'usage de l'homme des choses justes et des choses injustes : le dieu ignore cette opposition (DK 102). La guerre, affrontant par le fer et le feu les cités, ou les partis dans les cités, fait avec les vainqueurs des hommes, et avec les vaincus des esclaves. Elle révèle vainqueurs-vivants et vaincus comme des hommes, et comme héros-divins les morts (DK 53). Une éthique héroïque invite donc à vaincre ou à mourir, ou à accepter le destin de l'esclavage. Il reste vrai que « celui qui parle avec intelligence » tire sa force de la « Chose commune » à tous, comme la cité tire sa force de la loi, et même davantage (DK 114). Il existe donc un autre moyen de transcender la condition humaine que le passage au divin à travers la mort à la guerre, et c'est le passage au divin à travers le Logos.
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Écrit par
- Clémence RAMNOUX : professeur honoraire à l'université de Paris, ancien professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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