SIMON HERBERT ALEXANDER (1916-2001)
Théoricien original, l'Américain Herbert Alexander Simon (1916-2001) a influencé profondément les sciences économiques et sociales tout en étant constamment marginalisé. Sa remise en cause du concept de rationalité, développée dès les années 1940, continue de donner lieu à de vives controverses. Homme des frontières, il fut sans doute l'économiste le plus polyvalent de sa génération. Il a en effet marqué les sciences de gestion, il a participé activement à l'émergence des études en intelligence artificielle, et il a joué un rôle important dans le développement de la psychologie cognitive. Mais ces apports éclectiques – sa bibliographie comporte près de 1 000 publications – ont, jusqu'à un certain point, affaibli son influence, du moins provisoirement, en le rendant inclassable. À y regarder de plus près, on relève pourtant une grande cohérence dans son itinéraire et ses contributions.
Né à Milwaukee le 15 juin 1916, il s'oriente à la fin de ses études secondaires vers les sciences politiques et il obtient un doctorat de l'université de Chicago en 1943. Mais son intérêt pour ce domaine a déjà une connotation nettement économique, comme en témoignent ses premiers articles, publiés en 1936 qui portent sur les problèmes de choix publics dans le cadre des administrations locales. Après un court séjour (1939-1942) à l'université de Berkeley, Simon travaille à l'Illinois Institute of Technology de 1942 à 1949. Cet épisode marque un tournant. Simon y développe son intérêt pour les caractéristiques technologiques de la production, mais surtout pour une nouvelle discipline, les computer sciences. Il y trouve, par ailleurs, l'occasion de fréquenter la commission Cowles, célèbre pépinière d'une génération d'économistes particulièrement brillants (Gérard Debreu, Tjalling Koopmans, Jacob Marschak, notamment, y sont alors actifs). En 1949, il obtient un poste à l'université Carnegie-Mellon, où il travaillera jusqu'à sa mort, en février 2001. Les départements qu'il a créés au sein de cette université et les recherches qu'il y a animées l'auront amené à collaborer et à publier avec des esprits aussi divers qu'Arthur Newell, un des pionniers de l'informatique, John Muth, l'inspirateur de la théorie des anticipations rationnelles, ou encore James March, très influent en théorie des organisations et en sciences politiques.
Outre son travail sur la décision publique, ses recherches se développent selon trois axes et, dans chaque cas, lui vaudront les plus hautes distinctions : théorie de la rationalité et économie de la décision dans les organisations (prix Nobel d'économie 1978) ; intelligence artificielle et théorie de l'information (médaille A.-M. Turing 1975) ; psychologie cognitive et processus d'apprentissage (médaille de l'American Psychological Association 1993).
Les premiers travaux de Simon portent sur l'étude des choix de l'administration publique, plus exactement des gouvernements locaux. Le recours à une analyse coûts-avantages, audacieuse à l'époque, témoigne déjà du tempérament d'explorateur de l'auteur. Mais, surtout, il prend vite conscience de la dimension organisationnelle de ces choix. Les décideurs font partie de bureaucraties complexes, où les problèmes d'information jouent un rôle clé, et où les routines et les procédures comptent tout autant que les calculs objectifs.
Cette analyse, développée dans Administrative Behavior, amène l'auteur à réfléchir à la logique des décisions dans les organisations, et à y repérer deux problèmes centraux : la relation d'emploi, qui se caractérise par le rôle clé de l'autorité, à la différence de ce qui se passe sur les marchés ; et les limites qui pèsent sur la rationalité des décideurs. Le premier volet conduit à un article[...]
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Écrit par
- Claude MÉNARD : professeur de sciences économiques à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
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