SPENCER HERBERT (1820-1903)
L'œuvre du philosophe anglais Spencer, aujourd'hui délaissée, est inséparable de l'idéologie du progrès qui fut, au xixe siècle, celle d'une Europe à laquelle on a pu légitimement reprocher d'avoir confondu sa civilisation et la civilisation. Que les rapports qu'elle entretient avec un certain ethnocentrisme actuellement répudié lui aient beaucoup nui est évident : de la conception du devenir historique sur laquelle s'appuie l'anthropologie spencérienne est précisément né un portrait du primitif qui n'a pas manqué d'être vivement critiqué. Mais on ne peut réduire à cet unique tableau le monisme naturaliste de Spencer, qui, en voulant combler le fossé qui sépare les sciences de la nature des sciences de l'homme au moment même où celui-ci se creusait davantage, a écarté de sa synthèse, dont on peut dire qu'elle trouve en cette exclusion sa force et sa faiblesse, toute idée de discontinuité.
La genèse de la philosophie synthétique
Tour à tour instituteur dans l'école que dirigeait son père à Derby, où il naquit, ingénieur des chemins de fer, journaliste libéral au temps de l'agitation chartiste, Herbert Spencer, dont toute la carrière s'est déroulée en marge de l'Université, fait figure d'amateur de génie. Ses goûts, qui très tôt l'amenèrent à s'intéresser aux sciences exactes, plus particulièrement à la mécanique et à l'algèbre qu'il étudia au détriment de l'histoire et de la philosophie, le portèrent également vers la botanique, la géologie, la peinture, la musique, l'astronomie, la phrénologie même, pour laquelle il se passionna. De bonne heure cependant, l'idée lamarckienne d'un développement progressif de l'humanité orienta d'une façon décisive les recherches qu'il poursuivit très éclectiquement en les nourrissant de lectures abondantes, mais toujours fragmentaires. Dès 1852, date à laquelle il eut connaissance de la loi de Baer formulant le passage de l'homogène à l'hétérogène, la perspective évolutionniste où devait s'intégrer la série des Principes était en effet dégagée. La souscription organisée par ses amis, Tyndall, Huxley, Lubbock, Mill..., à la sollicitude desquels il doit la publication de ses œuvres, sans le libérer entièrement des soucis matériels, lui permit de se consacrer à une tâche qui fut soutenue par une grande partie de l'intelligentsia de son époque. À sa mort à Brighton, Spencer laissait une œuvre considérable intéressant à la fois la biologie, la psychologie, la sociologie et l'anthropologie, qui le range aux côtés de L. H. Morgan et E. B. Tylor parmi les fondateurs de l'évolutionnisme culturel et social du xixe siècle.
Esquissé dans ses grandes lignes en janvier 1858, puis définitivement établi et publié en janvier 1860, le plan de la philosophie synthétique que Spencer devait suivre sans y apporter de retouches notables jusqu'au terme de son entreprise (1896) est issu d'une méditation sur les travaux qu'il avait donnés à partir de 1842 à différentes revues et dont la réunion a constitué la première série des Essais. L'Autobiographie, pour laquelle il commença à réunir les matériaux en 1875, indique qu'à ce moment de sa recherche son auteur avait discerné les liens qui unissent ses premiers articles au système de philosophie dont il avait déjà l'idée. Il devait, par la suite, reconnaître que l'évolutionnisme des Principes était inscrit dans le mouvement même de sa pensée qui l'avait conduit de l'idée indéfinie du progrès à l'idée définie d'évolution et que l'idée même d'évolution fut intimement liée à son expérience personnelle de l'intégration.
Les préoccupations d'ordre politique et éthique que révèlent les douze[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
Classification
Média
Autres références
-
ANCÊTRES CULTE DES
- Écrit par Mircea ELIADE et Encyclopædia Universalis
- 3 198 mots
- 1 média
C'est Herbert Spencer (1820-1903) qui, le premier parmi les modernes, a fortement souligné l'importance des ancêtres dans l'histoire des religions. En effet, pour le philosophe anglais, le culte des ancêtres serait à l'origine même de la religion. Le « sauvage » considère comme surnaturel ou divin tout... -
ARCHAÏQUE MENTALITÉ
- Écrit par Jean CAZENEUVE
- 7 048 mots
...organisation, la structure et la morphologie de ces sociétés ; sa théorie de la formation des collectivités primitives, qui sur certains points reprenait celle de Spencer, est restée classique, mais n'a pas réussi beaucoup mieux que celle de Spencer à se dégager d'une hypothèse évolutionniste particulière. Pour Spencer,... -
ATTITUDE
- Écrit par Raymond BOUDON
- 4 175 mots
- 2 médias
Le mot attitude vient du latin aptitudo. Son sens primitif appartient au domaine de la plastique : « Manière de tenir le corps. [Avoir] de belles attitudes », dit Littré. Du physique le terme se transpose au moral : « L'attitude du respect » ; puis il déborde le moral pour indiquer des dispositions diverses...
-
BIOLOGISME
- Écrit par Sébastien LEMERLE et Carole REYNAUD-PALIGOT
- 2 772 mots
...biologiques. Les théories de Charles Darwin font également l’objet d’application à la sphère sociale ( darwinisme social) sous des plumes influentes. Les théories d’Herbert Spencer, qui font de la lutte pour l’existence et la sélection naturelle le moteur des sociétés humaines, ou encore celles... - Afficher les 12 références