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SPENCER HERBERT (1820-1903)

Passage de la physique mécaniste à la métaphysique de l'inconnaissable

L'unification théorique à laquelle Spencer est ainsi parvenu doit beaucoup à la Correlation of Physical Forces de W. Grove, ouvrage, d'ailleurs cité par Carpenter, antérieur d'un an au mémoire de Helmholtz Sur la conservation de la force (1847), dont Ostwald a dit toute l'influence qu'il a exercée au xixe siècle sur l'histoire des idées. Sans doute pouvait-il également attribuer à Humboldt une certaine influence sur le développement de sa pensée : il lut avec attention le Kosmos pendant ses années de maturation. Mais si son entreprise reçut des travaux de Wallace et de Darwin (L'Origine des espèces, datant de novembre 1859) une confirmation éclatante, elle n'emprunte rien à la philosophie positiviste d'Auguste Comte qui, comme on sait, rejeta l'évolution organique des espèces et prit parti pour Cuvier dans le débat qui opposa ce dernier à Lamarck. Récusant à juste titre cette filiation, Spencer ne semble pas avoir admis la réelle parenté qui, en revanche, unit sa théorie de la connaissance impliquée par sa conception de la force à celle de Kant dont il critiqua vivement l'analyse des catégories de l'espace et du temps qui la fonde. Il entendait, comme il l'indique dans l'Autobiographie, faire adopter le point de vue évolutionniste « sans affirmer aucune croyance métaphysique ou théologique ». De là, la partie préliminaire des Premiers Principes (où, ménageant l'esprit de son époque, il répudiait également le matérialisme) consacrée à l'inconnaissable, partie qui, paradoxalement, pensa-t-il, attira l'attention des lecteurs au détriment des chapitres suivants. En fait, l'agnosticisme de Spencer manifeste bien l'aspect de compromis que revêt son œuvre où la science et la religion sont réconciliées et la dynamique et la statique réunies. En effet, s'il reprit à son compte la distinction kantienne des effets et des causes en assignant comme but à la science, qui ne peut connaître la nature de l'énergie de la force, l'étude des manifestations de l'inconnaissable, il se sépara radicalement de Kant en affirmant que les généralisations empiriques que sont les lois dégagées de l'accumulation des données n'ont pas un caractère de probabilité, mais bien de nécessité. On comprend qu'il se soit, de préférence à Kant, référé à Hamilton et à Mansel, qui font de l'infini, que la raison est impuissante à atteindre, l'objet de la religion, bien qu'ils lui confèrent une origine surnaturelle alors que lui-même le faisait dériver d'une conscience imprécise.

En cherchant à expliquer mécaniquement l'univers, conçu comme un ensemble de rapports dynamiques, comme un organisme vivant, au sein duquel la différenciation de plus en plus parfaite aboutit à une coordination de plus en plus harmonieuse, Spencer réalisait la synthèse de la philosophie réformatrice du xviiie siècle et de l'idéalisme allemand du début du xixe siècle. Seule, ainsi que Berthelot l'a remarqué, la confusion de la force mécanique, simples rapports mathématiques entre les changements physiques, et de la force inconnaissable, principe commun de l'esprit et de la matière, pouvait le permettre.

Or, il n'est pas indifférent de rappeler, outre sa lecture critique de Bentham, qu'il eut connaissance de la vision organiciste contenue dans le System des transzendentalen Idealismus de Schelling par l'ouvrage, également cité par Carpenter, de S. T. Coleridge, Hints Towards the Formation of a More Comprehensive Theory of Life (1848), et que la notion d'individuation qu'il tient de ce dernier est incluse dans celles de développement (Entwicklung) et de différenciation (Differenzierung) du romantisme allemand. Mais, tandis que,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

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Herbert Spencer - crédits : AKG-images

Herbert Spencer

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