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HÉRÉSIE

Les origines

Le terme d'hérésie renvoie à un schème idéologique emprunté au grec. Dans l'historiographie hellénistique, hairesis désigne un courant de pensée, rattaché de manière assez lâche aux écoles philosophiques pourvues d'institutions stables, telles que l'Académie de Platon ou le Lycée. Avant les chrétiens, les juifs d'expression grecque ont adopté le terme pour l'appliquer aux tendances internes du judaïsme, celles des pharisiens et des sadducéens par exemple, dans un sens neutre. Telle est encore sa valeur dans les Actes des Apôtres. Cependant, saint Paul l'emploie déjà pour réprouver la formation de « partis » dans les communautés chrétiennes. En outre, les écrits du Nouveau Testament attestent l'existence de différends nombreux et mettent en garde contre les faux prophètes. Mais les représentations de l'erreur sont très diverses. Elles le restent à l'étape des Pères dits apostoliques. Il faut attendre le milieu du iie siècle pour qu'apparaisse un modèle commun destiné à justifier l'exclusion, sous le nom d'hérésies, de doctrines jugées perverses. L'intervention de Justin martyr, à Rome, est déterminante. Il exploite dans un sens péjoratif l'analogie avec les appellations des écoles de pensée grecques, rapportées à leurs fondateurs, pour priver les adversaires de la référence au Christ et souligner l'origine humaine et, au-delà, diabolique, de leurs opinions. Il reprend ainsi un thème traditionnel, qui fait du diable et des démons mauvais les inspirateurs de l'erreur. Dérivant de l'apostasie de Satan et des ennemis du Christ, l'hérésie devient une réalité radicalement étrangère au christianisme. Justin systématise cette représentation polémique en proposant un ordre de succession des hérésies et en esquissant le thème qui fait de Simon le Mage le père de toutes les hérésies. La liste des hérétiques implique la création d'une succession authentique, remontant au Christ. Le précédent du judaïsme rabbinique, qui, après la ruine du Temple, a réussi à imposer l'unicité d'une orthodoxie fondée sur une succession légitime, a eu probablement sur ce point une influence. Ces composantes de la notion d'hérésie sont développées et complétées par Irénée en 180 environ. Il accentue l'altérité des « sectes » en dénonçant des liens avec le paganisme ou l'hellénisme, ébauchant un motif appelé à un grand avenir, celui de la philosophie comme pourvoyeuse des hérésies. On trouve chez lui une liste de succession des évêques de Rome, qui s'oppose à la tradition de l'erreur et à la multiplicité des hérésies. Il joint, en effet, à la thèse de l'engendrement issu de Simon celle des dissensions entre les sectes, qui rivalisent dans le mensonge et l'absurdité. L'instrument dont il dispose ainsi a un grand pouvoir réducteur : il peut faire entrer dans la même série, sous le nom d'Ébionites, les judéo-chrétiens – restés proches, par l'observance, les croyances ou la conception de l'Écriture, des origines juives du christianisme – et les gnostiques, qui répudient le Dieu de l'Ancien Testament. Et le procédé de l'amalgame, à jamais fécond en hérésiologie, est omniprésent.

Deux faits sont aussi à considérer. D'une part, le contexte intellectuel dans lequel s'est élaborée chez Justin la notion d'hérésie explique le primat de l'aspect doctrinal. Ce trait a été fort commode par la suite : il a permis de masquer l'appartenance effective des « hérétiques » au christianisme, en laissant dans l'ombre leur pratique ecclésiale, et de maintenir à l'écart les causes non théologiques des conflits. D'autre part, à l'époque où les premiers traités antihérétiques ont été composés, le danger le plus grave venait des gnostiques. Or le [...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, section des sciences religieuses

Classification

Média

Bûcher de Montségur - crédits : AKG-images

Bûcher de Montségur

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