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BROCH HERMANN (1886-1951)

Un roman visionnaire et messianique : « La Mort de Virgile »

Entre la publication de la trilogie qui a fondé son renom et celle de son incontestable chef-d'œuvre : La Mort de Virgile, en 1945, Broch s'est intensément consacré à de nombreux autres travaux. Projetant un volume d'études sur la philosophie de l'art, il expose en 1933 dans quelques importants essais les fondements de son esthétique romanesque et traite le problème du Kitsch, de l'« art culinaire ». Le grand ouvrage philosophique sur l'effondrement des valeurs auquel il a songé à la même époque ne sera finalement pas écrit, mais beaucoup d'essais voient encore le jour entre 1931 et 1935, dans lesquels il s'élève avec véhémence contre le positivisme, s'interroge sur la valeur de l'art comme moyen de connaissance, sur la place et la fonction de la littérature dans le monde contemporain. Le manuscrit, d'abord appelé Don Quijuanchotte, puis Filmann, est perdu, à l'exception d'un chapitre. Ce roman devait peindre la décadence d'une famille d'industriels et reprendre à travers un personnage mi-Don Juan, mi-Don Quichotte les thèmes de l'angoisse et de la solitude engendrées par la « désagrégation des valeurs ». La matière a été en grande partie reprise dans un drame mis en scène avec succès en 1934 par Hugo Hartung, à Zurich, et finalement intitulé Die Entsühnung. La rédaction de l'œuvre capitale, La Mort de Virgile, va accaparer Broch durant des années. Un court récit, Le Retour de Virgile, lu à la radio le 17 mars 1937, est à l'origine de l'œuvre. Broch, qui a vu en Virgile et son époque de nombreuses analogies avec sa propre situation historique, y traite sous forme de nouvelle le sujet qui le préoccupe depuis toujours : quelle peut être la justification de l'art dans la société actuelle ? Partant de la légende selon laquelle Virgile a voulu brûler son Énéide, il fait exposer au poète les raisons qui l'amènent à renier son œuvre. À tout le sang et toutes les horreurs de son époque, Virgile n'a à opposer que des vers : « Il avait fui... il avait écrit des vers qui n'étaient rien d'autre que fuite dans la beauté. »

En 1938, la vie de Broch est gravement perturbée par l'hitlérisme. Mis en prison, mais finalement relâché, il s'enfuit à Londres puis à New York où il poursuit aussitôt le remaniement de La Mort de Virgile. En 1939, il se rend à Princeton où il restera presque dix ans chez son ami Erich von Kahler.

Au terme d'un long travail de polissage, La Mort de Virgile paraît en mars 1945, simultanément en allemand et dans la traduction anglaise. Immédiatement reconnu comme un chef-d'œuvre, ce roman de la confrontation avec la mort vaut à son auteur un grand nombre d'articles très élogieux. Le récit des dix-huit dernières heures de la vie de Virgile constitue la matière du livre qui s'ouvre par une magistrale description de l'arrivée à Brindisi du poète agonisant. Les délires de la fièvre entraînent le malade dans les profondeurs du subconscient. Il devient voyant et atteint à la connaissance suprême. De ce voyage dans les régions mystérieuses au-delà des frontières de la conscience, Virgile revient apaisé. Il a trouvé la réponse à ses angoisses et à ses doutes : il sait que le salut est dans l'amour, et offre à César L'Énéide qu'il voulait brûler. Broch a révélé n'être parvenu à soulever le voile du mystère qu'en se plongeant dans de véritables états de transes où l'écriture devenait automatique. La luxuriance, le caractère lyrique et visionnaire, le ton hymnique du roman, où les phrases déferlent parfois sur plusieurs pages, en rendent l'accès difficile, mais on est souvent emporté par le flot poétique. L'œuvre illustre la responsabilité de l'écrivain[...]

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Écrit par

  • : maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice

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