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BROCH HERMANN (1886-1951)

La dénonciation du nazisme

Soucieux d'opposer une « dictature de l'humanisme » à la barbarie de son temps, d'« éclairer » les masses, de contribuer au réveil des consciences, Broch se livre en Amérique à des travaux de science politique et à des recherches sur la psychologie des foules qu'il poursuivra jusqu'à sa mort, parallèlement à ses études sur la théorie de la connaissance. Durant la dernière période de sa vie paraissent quelques essais parmi les plus importants qu'il ait écrits, dont celui sur H. von Hofmannsthal. Jusqu'à sa mort il connaîtra une difficile existence d'émigrant. Se dépensant sans compter pour venir en aide aux victimes du nazisme, il s'épuisera en outre à rédiger une correspondance qui présente un haut intérêt. Il fera paraître encore un roman, Les Innocents. En 1949, il modifie légèrement cinq nouvelles d'inspiration kafkaïenne qui datent de 1933, en écrit six autres et les relie par des pages lyriques. Certains récits reprennent les thèmes existentiels de la solitude et de l'angoisse. Le roman a un caractère politique : Broch analyse les conditions morales qui ont permis le phénomène du nazisme et condamne le type du « Spiesser », l'indifférence des petits bourgeois médiocres : leurs idées politiques vagues et confuses ne permettent pas de les considérer comme des responsables directs, mais c'est leur état d'esprit qui a rendu possible le nazisme, et l'« innocence » de tous ces personnages est coupable. Broch avait terminé en 1936 une première version du Tentateur. Le remaniement entrepris la dernière année de sa vie est resté inachevé. L'œuvre, publiée en 1953, marque un retour frappant aux normes romanesques traditionnelles et illustre de façon saisissante la montée du nazisme, à travers un exemple de déchaînement de folie collective. À l'origine, Broch voulait peindre la quête d'une religiosité nouvelle, aussi des considérations sur l'histoire des religions et les mythologies néo-païennes alourdissent-elles le roman. Mais le phénomène du fascisme a entraîné un déplacement d'accent : utilisant ses travaux sur la psychologie des foules, l'auteur propose avant tout une analyse du comportement individuel et collectif d'une remarquable acuité. Un vieux médecin retiré dans un petit village des Alpes raconte comment la paix montagnarde est un jour troublée par l'arrivée d'un étranger, Marius Ratti, faux prophète et démagogue qui rappelle Hitler par bien des traits. Prêchant une pseudo-religion, un nouvel idéal de vie proche de la nature, il sème la discorde en libérant les forces obscures qui sommeillaient dans le subconscient collectif. Comme le charmeur de rats de la légende, il fascine les hommes pour les conduire à leur perte. Le roman, dans lequel Broch – qui admirait Giono – a admirablement évoqué le cadre alpin de l'action, n'a pas un aspect uniquement négatif : aux sortilèges maléfiques de Marius Ratti est opposée la sagesse chrétienne d'une vieille paysanne, la mère Gisson (anagramme de Gnosis). À la haine elle oppose l'amour, car « le monde n'a jamais encore été racheté par la haine ». Les hommes sont placés devant l'alternative : Déméter ou la Magie. Seulement, à la différence de Marius Ratti, la mère Gisson ne peut pas contraindre, elle doit convaincre.

— André SOUYRIS

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  • : maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice

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