HERMÉTISME
Ignoré de la langue classique, qui usait uniquement de l'adjectif « hermétique » pour désigner ce qui avait rapport au grand œuvre alchimique, le mot « hermétisme » est un néologisme de la fin du xixe siècle, au contenu ambigu, tout comme les termes « ésotérisme » et « occultisme », dont il est souvent synonyme. Pour éviter toute confusion, il conviendrait de ne l'employer, comme on le fera ici, que pour désigner les doctrines propres aux ouvrages qui circulèrent sous le nom d'Hermès Trismégiste. Ces écrits, dont les plus anciens remontent à l'époque hellénistique et les plus récents au Moyen Âge, se présentaient, en effet, comme ceux du dieu égyptien Thot, que les Grecs identifièrent à Hermès, et s'étendaient à toutes les branches de la connaissance : astrologie, médecine, magie, alchimie, philosophie, théologie.
De Thot à Hermès Trismégiste
Le dieu égyptien Thot (dhwti) était primitivement un dieu local du Delta. Son culte se développa particulièrement à Shmum ou Chnumu (aujourd'hui Achmunein), ville de Moyenne-Égypte que les Grecs appelèrent Hermopolis (« ville d'Hermès »). L'ibis incarnait sa forme immatérielle, mais aussi le babouin, adoré à Shmum avant sa venue. Thot régnait sur tout ce qui comporte une opération intellectuelle : identifié à la Lune, il est le dieu qui mesure et calcule le temps ; secrétaire d'Osiris et greffier dans la psychostasie, il est l'inventeur de l'écriture et, par suite, des sciences et des arts. Il est en particulier le maître de la magie : grâce à sa profonde connaissance des articulations créatrices du langage et de la puissance des mots, qu'il sait prononcer avec l'intonation correcte, il peut faire que se produise tout ce qu'il désire. C'est pourquoi il fut considéré, dans la théologie de Memphis, comme la « langue de Ptah », le verbe du dieu dont l'émission donne naissance à l'Univers, et, dans la théologie d'Héliopolis, comme le « cœur de Rê », c'est-à-dire l'essence même de sa pensée créatrice.
C'est à Hermès que les Grecs assimilèrent tout naturellement Thot. Hermès, messager et interprète des dieux, était associé, en effet, aux arts littéraires, encore qu'il ne fût pas regardé comme l'inventeur de l'écriture. Cependant, dans le Cratyle (407a-408d), Platon relie Hermès au discours, non seulement en faisant dériver son nom de ἑρμηνεύς (interprète) mais aussi de Εἰρέμης, forgé par contraction de τὸ εἴρειν ἐμήσατο (« celui qui imagina la parole »). Les spéculations hellénistiques soulignèrent cette liaison d'Hermès au logos et celle-ci constitua même un des lieux communs du stoïcisme.
Si Platon mentionne « Theuth » (Philèbe 18b ; Phèdre 247c), auquel il attribue de nombreuses inventions, dont l'écriture, il ne l'identifie pas avec Hermès. Cependant, cette identification, déjà connue d'Hérodote, d'Aristoxène de Tarente et d'Hécatée d'Abdère, devint courante à partir du iie siècle avant J.-C. L'épithète de Trismégiste, qui signifie « trois fois très grand », provient de l'addition du superlatif grec μέγιστος (« très grand ») au superlatif égyptien formé par redoublement ou triplement : âa = grand, âa âa = très grand. Ce dernier, en effet, fut également traduit en grec par une répétition du positif (ainsi certaines inscriptions donnent Ἑρμη̃ς ὁ μέγας καὶ μέγας), mais aussi, à l'époque de Ptolémée IV, par la répétition du superlatif : μέγιστος κὰι μέγιστος καὶ μέγιστος, puis, pour éviter la répétition, par τρισμέγιστος.
Les auteurs classiques mentionnent Hermès Trismégiste à partir du ier siècle avant J.-C. Diodore[...]
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Écrit par
- Sylvain MATTON : docteur en philosophie, attaché de recherche au C.N.R.S.
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