HÉRODOTE (env. 484-425 av. J.-C.)
Enquête et synthèse
L'œuvre qu'il a laissée reflète en tout cas ces influences diverses et en opère la synthèse. À beaucoup d'égards, on a le sentiment qu'elle porte en elle le témoignage d'une élaboration vivante.
En particulier, si les voyages d'Hérodote l'orientaient vers l'enquête relative aux divers pays, et si l'atmosphère athénienne pouvait le pousser vers l'analyse politique, il y avait là deux centres d'intérêt différents, dont la coexistence se reflète dans la structure même de son œuvre.
Celle-ci comporte neuf livres (auxquels on a donné les noms des neuf muses). Elle s'appelle ’Ιστορ́ιη (Historiè), ce qui veut dire enquête, et il n'est pas très facile de lui donner un titre qui soit plus précis. Elle tend, en effet, dès la première phrase, à exposer ce que furent les guerres médiques et les événements immédiatement antérieurs. Mais le récit des guerres médiques ne commence qu'au livre VI. Qu'y a-t-il donc avant ? En un sens, on peut dire que l'on trouve la croissance de l'empire perse jusqu'au moment des guerres médiques ; Hérodote raconte, dans les premiers livres, comment trois souverains successifs – Cyrus, Cambyse, Darius – après avoir réduit les Lydiens de Crésus, s'attaquèrent à l'Asie Mineure et à l'Assyrie (livre I), puis à l'Égypte (livre II), à Samos (livre III), et enfin aux Scythes, à la Libye et à la Thrace. Mais ces premiers livres ne se déroulent pas selon un esprit historique, ni selon l'ordre chronologique.
Tout d'abord, Hérodote ne commence pas par les souverains perses : son livre I s'ouvre sur l'histoire de Crésus (le premier des princes barbares à avoir soumis certains Grecs) ; et l'on ne rencontre Cyrus que lorsqu'il vainc Crésus. Il s'agit donc plutôt des barbares en général que des Perses. Mais surtout, d'un bout à l'autre, Hérodote procède par longues parenthèses et semble coudre ensemble une série de monographies, qui sont comme indépendantes. Chaque fois que les Perses attaquent un nouveau peuple, il groupe tout ce qu'il a appris sur le peuple en question : il parle de son histoire passée, mais aussi de ses rites, de sa façon de vivre et de la nature du pays. Ces monographies, ces logoi, se fondent même si peu dans un récit d'ensemble que l'on a pu penser qu'ils avaient eu, à l'origine, une existence indépendante. Le moins que l'on puisse dire est donc que l'enquête combine, et combine assez librement, deux types de recherche distincts.
Encore n'est-ce pas tout ; car ce procédé de composition, qui utilise le retour en arrière et les longues parenthèses, gonfle peu à peu l'histoire d'Hérodote et en élargit le cadre. La chose est d'autant plus sensible que, même pour les cités grecques, sa méthode est semblable : s'il rencontre le nom d'Athènes ou bien de Sparte, par exemple à propos d'une ambassade et d'une demande d'alliance, il profite de l'occasion pour revenir en arrière et exposer ce qui s'était passé jusque-là dans ces villes (on le voit bien, pour ces deux exemples, au livre I et au livre V). De parenthèse en parenthèse, Hérodote, ainsi, dit tout. Sans ordre chronologique, sans système défini de recherche, son œuvre finit par couvrir les deux siècles qui ont précédé les guerres médiques, dans les divers pays intéressés, aussi bien grecs que barbares.
Il dit tout, aussi, du point de vue de la critique historique – en ce sens qu'il recueille le plus de renseignements possible et n'essaie pas de faire un tri. Bien sûr, il cherche le vrai, et il tourne le dos aux mythes, résolument. Il interroge et contrôle. Mais entre la crédulité des auteurs de récits mythiques et la rigueur d'une méthode critique, il reste de la marge. Hérodote[...]
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Écrit par
- Jacqueline de ROMILLY : ancienne élève de l'École normale supérieure, membre de l'Institut, professeur au Collège de France
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