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HÉRODOTE (env. 484-425 av. J.-C.)

L'esprit et la forme de l'œuvre

Cette attitude a quelque chose d'ouvert et de tolérant, qui correspond au caractère de l'homme, et que l'on retrouve dans la façon même dont se déroulent ses narrations. Littérairement, Hérodote a combiné les moyens que lui offraient les divers genres florissant alors. Écrite en ionien comme l'épopée, son œuvre a, comme l'épopée, ses scènes de bataille et ses scènes intimes ; et elle a de même des discours et des dialogues, et des bons conseillers que l'on n'écoute pas. Elle a aussi mille anecdotes, que l'on peut mettre en relation avec les récits romanesques que devait connaître l'Asie. Elle a des scènes organisées, où l'intérêt est ménagé, et où les personnages, pour finir, cèdent devant l'autorité des dieux, dont ils n'avaient pas compris les oracles ; ces scènes font penser, de la façon la plus directe, à la tragédie athénienne. Mais avant tout, cette œuvre a un accent personnel ; elle est d'un abord facile, gentiment ironique, toujours concrète, jamais prétentieuse, remplie de renseignements et vivante.

On peut s'interroger sur ses intentions – qui sont parfois plus subtiles qu'une apparente naïveté ne pourrait le laisser croire. Une seule est mise en avant ; et elle correspond bien au sens grec de la mesure : si elle était plus systématique (mais rien, dans Hérodote, n'est jamais systématique), elle ferait penser au monde tragique. Hérodote, en effet, croit aux dieux. Il croit que certaines choses « devaient arriver » – parce qu'elles avaient été décidées par eux. Aussi aime-t-il à recueillir les oracles et à les signaler. Et il aime à montrer, quand l'occasion s'en présente, que les dieux renversent volontiers tout ce qui s'élève trop haut. À cet égard, deux grandes figures se répondent, au début et à la fin de l'œuvre : celles de Crésus et de Xerxès.

L'histoire de Crésus fournit le point de départ de l'œuvre. Pour la raconter, Hérodote remonte même plus haut, jusqu'au crime accompli par Gygès contre Candaule. Ce crime a mis Gygès au pouvoir et les dieux ne l'acceptent qu'à condition que ce soit provisoire : sinon, la vengeance viendra. Elle vient en effet sur Crésus, mais non sans que Crésus lui-même ait été trompé par des oracles mal compris, et non sans que Solon l'ait averti que l'on ne pouvait dire aucun homme heureux avant sa mort. La scène pathétique où Hérodote montre Crésus, prêt à mourir sur son bûcher, répéter le nom de Solon, donne à cette leçon un relief manifestement intentionnel ; et la demande d'explications que Crésus adresse à Delphes lui apporte sa conclusion, puisque le prince reconnaît ses erreurs : « Crésus reconnut qu'il était, lui, en faute, et non les dieux. »

Hérodote a donc placé là, en tête de son œuvre, une histoire édifiante, montrant que les dieux aiment à rabaisser l'orgueil. Or, Xerxès, à l'autre extrémité de l'œuvre, illustre bien la même idée. L'orgueilleux Xerxès n'a pas écouté Artabane, lorsque celui-ci disait : « Regarde les maisons les plus hautes, et les arbres aussi : sur eux descend la foudre, car le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure. C'est ainsi qu'une grande armée succombe devant peu d'hommes parfois, quand le ciel, jaloux, par la panique ou par son tonnerre, la fait indignement périr ; car il ne permet l'orgueil à personne d'autre que lui » (VII, 10). La défaite de Xerxès fait pendant au désastre de Crésus.

Pourtant il serait inexact de croire que l'œuvre d'Hérodote se présente, même sur ce point, comme un ensemble homogène, soutenu d'affirmations bien tranchées. Elle est humaine, libre, changeante. Elle conduit de l'anecdote édifiante à l'analyse politique. On peut même dire que,[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, membre de l'Institut, professeur au Collège de France

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Hérodote - Halicarnasse (Asie Mineure) - crédits : G. Nimatallah/ De Agostini/ Getty Images

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