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HÉSIODE (VIIIe-VIIe s. av. J.-C.)

Petit paysan béotien de la fin du viiie siècle avant J.-C., contemporain de la première vague de colonisation qui pousse les Grecs à chercher de nouvelles terres, Hésiode d'Ascra, poète, théologien, prophète, se situe à la jointure de deux mondes et de deux systèmes de pensée. Par la Théogonie qui prolonge une condition poétique et religieuse plus archaïque que l'épopée d'Homère, Hésiode est le témoin privilégié d'une forme de pensée mythique qui obéit à un type de logique différent du nôtre. Par Les Travaux et les jours, au contraire, il fait figure de précurseur de Solon : le théologien qui raconte l'avènement de la souveraineté de Zeus et développe le mythe des races cède la place à un laboureur qui parle de dettes, de faim amère, qui invective les puissants de la Béotie et tonne contre les rois voraces. C'est déjà la perspective de la cité, avec ses conflits, ses angoisses et ses promesses à peine entrevues.

La Théogonie : un mythe de souveraineté

Dès les premiers vers de la Théogonie (Θεογονία, généalogie des dieux), Hésiode s'affirme comme un poète inspiré, que les Muses ont choisi pour dire « ce qui sera et ce qui fut », et pour célébrer « la race de bienheureux toujours vivants ». Si l'on voulait ne voir dans cette affirmation qu'une référence banale à la vocation poétique, on commettrait le plus grave des contresens. En invoquant les Muses, filles de Mémoire (Mnèmosunè), l'auteur de la Théogonie manifeste qu'en vertu de son don de voyance il a qualité pour prononcer une parole chantée (en grec, mousa), et pour instaurer la Vérité (alèthéia). Mémoire et vérité sont les deux pôles dont la tension définit la parole poétique. La mémoire permet au poète, comme au devin, d'accéder directement dans une vision personnelle aux événements qu'il raconte, d'entrer en contact avec l'autre monde et de déchiffrer d'un coup « ce qui est, ce qui sera, ce qui fut ». Alèthéia, qui s'oppose au plan défini par lèthè – oubli, silence et nuit –, représente le type de parole magico-religieuse, chargée d'efficace et qui rend exécutoire tout ce qu'elle énonce. C'est en « maître de vérité » qu'Hésiode énumère, dans l'ordre de leurs privilèges, la longue théorie des dieux immortels.

Mais la Théogonie n'est pas seulement un récit qui raconte le surgissement d'un monde ordonné sur l'horizon d'un chaos primordial, c'est aussi et surtout un hymne à la puissance d'un dieu souverain, qui étend son pouvoir sur tout l'univers, et dont la victoire sur les forces adverses établit un ordre définitif. Comme l'a montré Jean-Pierre Vernant, la Théogonie est un hymne à la gloire de Zeus roi. Contre les Titans d'abord, contre Typhée ensuite, Zeus engage deux batailles décisives dont l'enjeu est à chaque fois la victoire de l'ordre (cosmos) sur les puissances du désordre. C'est dans le monstrueux Typhée que se ramasse toute l'horreur de la confusion et du chaos : de ses épaules jaillissent cent têtes de serpent, dardant des langues noirâtres ; de toutes ces têtes horribles s'élèvent des voix de toute espèce, où se confondent cris de bêtes, sifflements inaudibles, sons que les dieux seuls comprennent ; de son corps terrassé par la foudre de Zeus naissent les vents qui, au lieu de tracer les chemins réguliers de la navigation, tourbillonnent en tous sens, bourrasques et tempêtes se succédant sans fin. Typhée une fois vaincu et rejeté dans le Tartare, Zeus étend sa souveraineté sur les autres Olympiens, entre lesquels il répartit les fonctions et les privilèges. Son double mariage avec Mètis et avec Thémis enracine définitivement sa puissance souveraine. Par son union avec Mètis, Intelligence rusée, qu'il a pris soin d'engloutir[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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