HÉSIODE (VIIIe-VIIe s. av. J.-C.)
Le mythe des races et la tripartition indo-européenne
Dans un de ses mythes les plus célèbres, Hésiode raconte la succession des diverses races d'hommes qui sont apparues sur la terre. Les cinq races qu'il énumère semblent s'ordonner d'après une échelle des valeurs représentée par des métaux : l'or, l'argent, le bronze et le fer. Seule la quatrième race, celle des héros, qui précède la race de fer des hommes d'aujourd'hui, ne correspond à aucune espèce métallique. Placé après l'histoire de Prométhée et de Pandôra, le mythe devait, dans la pensée d'Hésiode, montrer de la manière la plus claire que le « surdroit », l'hubris (̔́υϐρις), est la source du mal dont souffre la race de fer. Depuis longtemps, les difficultés d'un mythe en apparence banal avaient rebuté les philologues, qui s'étaient empressés de dénoncer les incohérences d'Hésiode et d'appliquer à son œuvre la technique des « interpolations ». Des études de Jean-Pierre Vernant ont montré l'arbitraire de ces procédés en imposant une lecture de ce mythe qui s'attache à rendre compte de chaque détail donné par Hésiode et réussit à le situer à sa place, dans la construction dont il fait partie. Au lieu des cinq races se succédant chronologiquement, apparaît une construction à trois étages, dont chaque palier se divise lui-même en deux aspects opposés et complémentaires. L'or et l'argent définissent les deux aspects de la royauté ; le bronze et les héros représentent les deux pôles de la guerre ; quant au fer, la cinquième race, il se dédouble en deux types d'existence humaine dont l'un est consacré à la justice, à Dikè, et l'autre voué tout entier à la démesure, à Hubris.
Les hommes de la race d'or ne connaissent ni la guerre ni le travail de la terre ; pour eux, spontanément, la terre produit des biens en nombre. Contemporains de Cronos, dieu souverain, les hommes de l'or incarnent la royauté juste, la souveraineté respectueuse de la dikè. Au contraire, les hommes d'argent, tout aussi étrangers que les premiers à la guerre et au labeur, représentent la souveraineté inique, la royauté de l'hubris, ils refusent de sacrifier aux puissances de l'Olympe et ne peuvent s'abstenir entre eux d'une folle démesure.
À la fonction de souveraineté, représentée par les deux premières races, les deux suivantes opposent leur activité guerrière. Tout entiers voués à la guerre et à ses œuvres, les hommes de bronze et les héros sont deux modèles antithétiques du combattant : les premiers sont pure violence, ils succombent sous les coups les uns des autres, et disparaissent dans l'oubli sans recevoir aucune marque d'honneur ; les seconds sont des guerriers justes, dont la force vient se mettre au service du pouvoir exercé par le Bon Souverain, conformément à la justice. En récompense de leurs vertus, les héros ont accès à l'île des Bienheureux, où désormais leur vie s'écoule sans fin, semblable à celle des dieux immortels.
À ces deux premiers paliers, de caractère essentiellement mythique, l'âge de fer vient opposer un tableau de la vie humaine dominé par l'ambiguïté et le mélange des contraires. Tout aspect positif est contrebalancé par une part négative : l'homme implique la femme ; la naissance, la mort ; la jeunesse, la vieillesse ; l'abondance, la peine ; le bonheur, le malheur. Mais jeté dans ce monde ambigu, le contemporain d'Hésiode – c'est-à-dire le petit paysan d'Ascra à qui s'adresse ce discours – a le choix entre deux genres de vie : ou bien respectant la dikè, et pratiquant la justice, il peut, en travaillant la terre comme les dieux l'ont voulu, compenser le mal par le bien ; ou bien, entraîné par l'hubris, poussé par la[...]
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Écrit par
- Marcel DETIENNE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
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